Accord de dominante : options d’improvisation, du In au Out
Niveau : moyen à avancé
Pré-requis : jouer les altérations et les overblows
Les accords de dominante sont les accords notés X7 (X étant la tonalité), également appelés accords de 7ème. Pour les besoins de cet article, j’ai choisi de jouer sur un accord D7, et de prendre un harmonica en C (tablature pour accordage lydien).
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Le blues fut une véritable révolution du fait qu’il introduisit deux notes a priori en dissonance sur ce type d’accord (rappelons que les accords de dominante sont très présents en Blues) : une tierce mineure (alors que l’accord est majeur), et une quinte bémole (alors que l’accord comporte une quinte juste), les fameuses « blue notes ».
Voyons l’exemple D7, pour que les choses soient plus concrètes.
L’accord D7 contient les notes suivantes : D F# A C. La tierce de l’accord, F#, est majeure (c’est-à-dire qu’elle se situe 2 tons au-dessus de la fondamentale D). La quinte de l’accord, A, est juste (c’est-à-dire qu’elle se situe 3,5 tons au-dessus de la fondamentale D).
Ce que nous apprend l’expérience du Blues, c’est que le soliste peut jouer sur cet accord un F à la place du F#, et un Ab à la place du A. Ces deux notes vont se trouver un demi-ton sous la tierce et la quinte de l’accord, et ainsi créer des tensions caractéristiques de cette musique.
Il est donc possible de jouer avec une gamme blues mineure sur cet accord pourtant majeur.
La gamme blues de D : D F G Ab A C D (1)
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Bien entendu, qui peut le plus peut le moins : il est également possible d’improviser avec un mode majeur de D, par exemple le mode mixolydien, très commun sur ce type d’accord (D E F# G A B C D).
Mais je vais vous proposer une astuce permettant de simplifier les choses, en optant pour une déclinaison de la gamme pentatonique majeure (D E F# A B). On remplace dans cette gamme le B, qui n’est pas dans l’accord D7, par un C, présent dans l’accord. On obtient une gamme à 5 sons, donc une pentatonique, plus consonante, et sans doute plus simple à utiliser que la gamme penta majeure sur ce type d’accord.
Notez que le côté « simple », comme souvent, ne tient pas à un aspect technique, mais à ce que l’oreille sera en mesure d’accepter comme son, et donc ce que le musicien sera plus en mesure de jouer « naturellement ». Autrement dit, cette option me semble plus simple à jouer car plus consonante. C’est intéressant pour cet article, car nous allons justement jouer sur les oppositions entre ce qui est consonant et ce qui est dissonant.
Gamme pentatonique alternative en D majeur (2)
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Tout le principe de la musique, au moins depuis le début du XXème, est de jouer sur les tensions. On part de quelque chose de « tranquille », puis on crée une tension, et on revient sur quelque chose de reposant. Lorsque cette tension est harmonique (on peut créer d’autres types de tension, notamment rythmiques), on parle pour cette dernière phase d’une « tension – résolution », terme que vous entendrez énormément si vous vous intéressez à l’improvisation.
L’improvisateur se doit de jouer sur ces tensions-résolutions pour que son discours soit percutant et capte l’attention. Si la musique n’est qu’une longue plage de repos, tout le monde s’endort. A l’inverse, si la musique n’est que tension permanente, on risque de perdre le côté agréable de l’agencement des sons, indispensable à toute démarche musicale.
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Place à l’impro !
Revenons sur cet accord D7, et voyons différentes options pour jouer sur des tensions-résolutions.
On peut s’amuser à alterner tierce majeure et tierce mineure. Sur 3 notes, il y a déjà largement de quoi dire des choses intéressantes, et variées, si tant est qu’on ait quelques idées rythmiques.
On peut ensuite utiliser notre gamme (2), et l’alterner avec la gamme blues. En veillant à bien faire sentir les tensions créées par le F et le Ab lorsqu’on est sur la gamme blues, qui vont se résoudre par l’utilisation du F# et du A lorsqu’on revient au majeur.
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Le jeu Out
Si les blue notes ont dû paraître insupportables à certaines oreilles du début du XXème, trop habituées à des musiques très consonantes (expliquant pour partie le terme de « musique du diable »), la grande majorité d’entre nous ne sera absolument pas choquée à leur écoute. La tension de la gamme Blues est depuis longtemps rentrée dans notre vocabulaire musical de base, et si elle permet encore une certaine forme d’expressivité, elle n’est plus aussi efficace dans sa fonction de tension harmonique.
Alors que faire pour introduire une tension harmonique dans ses improvisations ?
Une méthode particulièrement efficace consiste à jouer en-dehors de l’harmonie du morceau. Autrement dit, sur notre accord D7, nous n’allons pas jouer en D, aussi étonnant que cela puisse paraître ! Ni en D majeur, ni en D mineur. Nous choisirons une ou plusieurs autres tonalités, en-dehors de l’harmonie. C’est ce qu’on appelle « jouer out ».
Comme nous l’avons dit, la tension devra se résoudre, sinon elle risque de devenir indigeste. On jouera donc en réalité « In Out », pour paraphraser un célèbre disque du saxophoniste Joe Henderson, c’est-à-dire qu’on alternera des phrasés en D avec autre chose, pour revenir en D.
Mais comment faire ?, me direz-vous. Il existe tant de possibilités que l’imagination du musicien, son expérience et ses capacités créatrices, auditives et techniques sont les seules limites !
Voici trois exemples, pour vous aider à démarrer dans cette voie.
La pire tension possible étant celle d’un demi-ton, nous allons plonger au cœur du sujet, en jouant sur des écarts de demi-ton.
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Exemple 1
On prend deux notes en D mineur, et on monte d’un demi-ton, puis encore, puis encore… jusqu’au moment où l’on décidera de résoudre en revenant au D mineur.
Par exemple, je démarre en insistant sur G et F. J’utilise exactement le même motif rythmique un demi-ton au-dessus : G# F#, à nouveau un demi-ton au-dessus : A G.
A ce point, je suis revenu sur des notes de D mineur. Je peux m’arrêter là, et marquer le D mineur en utilisant ensuite un F et un D. Mais je peux aussi choisir d’insister sur la tension, et continuer à monter par demi-tons : Bb Ab, B A, C Bb, etc.
Au moment où je résous la tension, je peux enchaîner avec une phrase en D mineur pentatonique, qui me permet de conforter le retour à quelque chose de plus raisonnable, et de me reposer, moi et l’auditoire, avant d’accéder à une nouvelle phase de jeu, une nouvelle tension, une nouvelle résolution, etc.
Voir quelques exemples dans la vidéo. On commence par : G F / G# F# puis retour au G F, et descente de D Blues. Ensuite, idem jusqu’au A : G F / G# F# / A G / G# F# / G F. Enfin, on monte les notes jusqu’au C : G F / G# F# / A G / Bb Ab / B A / C Bb, puis on redescend d’une manière ou d’une autre avec la penta de Dm, ou la gamme de D Blues, ou toute autre option en D.
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Exemple 2
Une autre option, proche de la première mais qui demande un peu de travail en amont, est d’alterner des gammes espacées d’un demi-ton. Par exemple, on peut alterner D mineur pentatonique et Eb mineur pentatonique.
D mineur pentatonique (3)
Eb mineur pentatonique (4)
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Un procédé très efficace consiste à jouer une phrase dans une tonalité, puis exactement la même phrase un demi-ton au-dessus.
Par exemple :
Les 4 notes en D mineur de la première mesure se décalent d’un demi-ton, en Eb mineur sur la deuxième, avant de revenir en D mineur. Enfin, on conclut en descendant la gamme de D blues sur la dernière mesure.
Voir la vidéo pour un exemple d’utilisation de ce décalage d’un demi-ton.
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Exemple 3
Toujours en alternant D mineur pentatonique et Eb mineur pentatonique, on va cette fois choisir trois notes de Dm penta, les descendre, puis descendre 3 notes de Ebm penta, puis Dm penta, à nouveau Ebm penta, et terminer sur du Dm pentatonique.
Vous pouvez chercher la combinaison qui vous plait le plus.
Dans la vidéo, je joue la phrase suivante :
C’est la première mesure qui nous intéresse. Elle commence par 3 notes de Dm penta : A G F, puis 3 notes de Eb mineur penta : Ab Gb Eb, à nouveau Dm : F D C, Eb mineur : Eb Db Bb, puis on descend la penta de Dm.
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Conclusion
Nous avons vu plusieurs possibilités d’improvisation sur un accord de dominante, avec un matériel relativement basique (des gammes pentatoniques), des plus consonantes aux plus dissonantes.
Notons au passage que les options de sortie décrites fonctionneraient tout aussi bien sur un accord Dm7. Elles sont donc à réutiliser aussi bien sur un Blues en D majeur qu’en D mineur !
Il ne vous reste plus qu’à pratiquer, pratiquer, pratiquer encore, repiquer des phrasés, inventer les vôtres, et toujours pratiquer, jusqu’à ce que tout ça vous semble l’évidence même.
Bien entendu, vous pouvez vous amuser à utiliser les mêmes procédés sur n’importe quel accord de dominante, en transposant à chaque fois les gammes citées dans la bonne tonalité.
Il n’est pas évident de faire sonner les tensions, que ça donne quelque chose d’agréable à l’écoute malgré la tension, plutôt que le chaos. Alors, autant que possible, repiquez les idées d’autres musiciens, elles vous feront gagner beaucoup de temps, et vous aideront à développer petit à petit votre propre jeu.
Amusez-vous bien !
Jérôme Peyrelevade
www.jeromepeyrelevade.com
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Explication de la vidéo
Après une introduction avec quelques phrasés In/Out, la vidéo illustre plus précisément les exemples 1, 2 et 3.
Lorsque vous sortez de l’harmonie, je vous conseille de garder toujours en tête où se trouve la tonique, et d’y revenir régulièrement. Comme nous l’avons vu, vous pouvez aussi vous appuyer sur les tierces majeure et mineure (exemples dans la vidéo), ainsi que sur les gammes pentatoniques maj et min décrites dans l’article (dans un premier temps, une tonique + une penta sera déjà très bien !). Ces éléments vous aideront à assoir le jeu « In ».
Enfin, pour les besoins de la vidéo, j’ai essayé d’alterner 1 mesure In, 1 mesure Out, tout le temps ou presque. On ne ferait pas forcément ainsi dans un solo (dans lequel la construction générale est essentielle), mais c’est un excellent exercice pour apprendre à sortir et revenir.
Le play-back se trouve à la fin de la vidéo, et ci-dessous, à vous de jouer !