Planet Harmonica : Quand
as-tu commencé à jouer ?
Jason Ricci : À 15
ans. Je voulais jouer de l'harmonica parce que je
pensais que je n'aurai pas à travailler dur
pour apprendre. (Rires)
PH : Combien de temps ça
t'a pris pour remarquer le contraire ?
JR : Dès ma première
leçon ! J'avais presque 21 ans quand j'ai
enfin pu monter sur scène.
PH : C'était où
?
JR : À Boise, dans
l'Idaho, à l'université. Il y avait
une scène ouverte mais on m'aurait fait descendre
à coups de pieds aux fesses parce que j'étais
trop jeune. Mais le gars à qui appartenait
le club a découvert que je jouais de l'harmo
et nous étions tous les deux fans de Canned
Heat. La première fois qu'il m'a laissé
jouer, j'ai joué "On The Road Again"
note pour note, parce que je savais comment jouer
comme Al Wilson.
PH : À ce moment là,
cependant, tu n'avais pas encore vraiment exploré
les pères fondateurs de l'harmonica blues,
n'est-ce pas ?
JR : Oui. C'est ce gérant
de club qui m'a donné le premier disque de
Little Walter que j'ai jamais eu, puis Sonny Boy
Williamson. À ce moment là, j'étais
prêt à écouter les types qui
ont influencé mes héros, Butterfield
et Alan Wilson. Et j'ai réalisé que
ces types-là étaient excellents !
PH : Plus tard, tu as fini
par vivre à Memphis. Comment est-ce arrivé
?
JR : J'en ai eu marre de
jouer le blues à Boise, Idaho. Je rentrais
chez moi dans le Maine, en voiture, et je me suis
arrêté à Memphis. C'est là
que j'ai entendu Pat pour la première fois.
PH : Pat Ramsey ?
JR : Oui. Je me suis juré
de revenir à Memphis pour apprendre à
jouer avec Pat. J'ai fait des économies et
lorsque je suis arrivé, Pat se souvenait
de moi et n'y croyait pas que je sois revenu. J'ai
pris un boulot et je me suis mis à étudier
avec Pat. Il jouait tous les mercredis et il y avait
un autre jeune, Billy Gibson, un protégé
de Pat.
PH : Qu'est ce qui t'a "tapé
dans l'oreille" dans la façon de jouer
de Pat ?
JR : Eh bien, c'était
spécial mais vraiment agréable. C'était
travaillé mais sans jamais perdre son âme.
J'avais alors une approche très similaire
de celle de gens comme Sugar Blue et John Popper,
mais voilà Pat, qui était quelque
part entre les deux. Et j'étais en mesure
de l'accepter.
PH : Je sais qu' Adam Gussow
est un autre harmoniciste qui t'a influencé.
Il dit le plus grand bien de toi dans sa chronique
de Blues Access.
JR : Oui, j'ai oublié
de parler d'Adam ! Je l'ai rencontré dans
le Maine et c'était vraiment le meilleur
harmoniciste après Pat que j'aie jamais vu.
J'apprenais la technique de Pat, j'en étais
très proche, et puis j'ai entendu Adam. Dans
un style jazzy, Adam est plus mélodieux que
n'importe quel autre harmoniciste que j'ai entendu,
même Lee Oskar. Satan et Adam, pour moi, sont
la chose la plus remarquable qui soit arrivée
au blues depuis Muddy Waters. Les gens ne se rendent
pas compte que c'était une révolution
pour le blues de notre génération.
PH : Tu es devenu très
ami avec Adam.
JR : Oui, c'était
un de ces gars qui étaient vraiment durs
avec moi, vraiment honnêtes et qui ne me faisaient
pas de cadeau. Alors j'essayais de le séduire
en jouant dans son style et j'essayais d'assimiler
ce qu'il me disait sur ce qui n'allait pas dans
mon style.
PH : Après Memphis,
tu es parti vivre au fin fond du Mississippi. Raconte-moi
ça.
JR : Un soir à Memphis,
je jouais dans la rue pour me faire un peu d'argent
parce que je n'avais pas de quoi payer le loyer.
Les fils de R.L. Burnside - Jerry, Cedrick et Dwayne
- et les fils de Junior Kimbrough, Davis et Kenny,
m'ont entendu jouer en passant et ils ont bien aimé.
Ils avient leur propre groupe et cherchaient un
saxo mais ils ont pensé que je pouvais faire
l'affaire. Le lendemain, je me suis installé
chez Davis Kimbrough juste au sud de Holly Springs,
Mississippi. Après ça, j'ai joué
avec Davis et Junior Kimbrough, partout, dans des
bistrots de campagne, et j'étais même
payé.
PH : Combien de temps as-tu
joué avec eux ?
JR : Environ un an. Ces bistrots
était très formateurs, j'étais
très heureux. J'avais tout ce dont j'avais
besoin : à manger, des femmes et un toit.
J'étais très content, mais je me sentais
quelque peu coupé du monde, comme si personne
ne m'entendait.
PH : Pour un gamin du Maine,
ça devait sacrément te changer.
JR : J'ai reconnnu pas mal
de choses dans le livre d'Adam Gussow, des situation
qu'Adam a vécu. Pendant un petit moment,
j'ai perdu de vue qui j'étais, en quelque
sorte, au milieu de tout cet alcool, de la drogue,
de la musique et des bistrots.
[Ndlr: À cette époque, Jason est tombé
dans la spirale de l'intoxication par les stupéfiants.
Un journaliste de Floride, Davis Pulizzi, a admirablement
raconté son histoire. Vous pouvez lire son
article sur http://www.nucklebusters.com/jcity.html
]
PH : Alors, après
cela, tu es parti pour Jackson, Mississippi ?
JR : Oui. Billy Gibson m'a
recommandé à un groupe, The Hounds.
Ils m'ont engagé et j'ai déménagé
à Jackson. C'était la première
fois que je gagnais ma vie en faisant la route dans
une camionnette pour aller jouer. J'étais
tellement heureux parce que je faisais ce que j'avais
toujours voulu faire que j'en oubliais la drogue.
Mais le groupe s'est alors séparé.
PH : Et ensuite ?
JR : Je suis rentré
à la maison, et j'ai, pour la première
fois, monté mon propre groupe. J'ai rencontré
Enrico Crivellaro, qui est à présent
guitariste d'Etta James, et nous avons fini par
jouer ensemble en Europe.
PH : Et tu es parti en Floride
en 1998 ?
JR : Oui, en 98. Je fumais
du crack, je prenais des analgésiques très
forts... J'avais déjà essayé
d'arrêter plusieurs fois et on m'a envoyé
là-bas en cure de désintoxication.
PH : À présent,
ici dans le sud de la Floride, tu a remis de l'ordre
dans ta vie tu as travaillé avec le Nucklebusters
Blues Band, qui fait du Chicago blues pur et dur.
Et tu as aussi joué avec Keith B. Brown,
qui depuis est parti vivre en Europe.
JR : Oui, j'ai commencé
à travailler avec Keith quand je jouais avec
Junior Kimborough. C'était du delta blues,
de la country et du bluegrass. Nous avons enregistré
un CD, "Got To Keep Movin'", où
on trouve quelques uns des meilleurs morceaux d'harmonica
que j'aie jamais joué. C'est le premier enregistrement
où j'ai réussi à placer des
overblows de façon efficace et mélodieuse.
PH : Parle-moi des overblows
et des harmonicistes modernes qui t'ont influencé.
JR : Eh bien, Adam est le
premier qui m'a appris à faire des overblows.
Mais je n'en ai mis dans ma musique que quatre ans
plus tard, lorsque je suis parti en désintoxication
et que j'ai fait pas mal de grabuge. Adam m'a dit
que si je n'apprenais pas ça, la nouvelle
génération se passerait de moi. De
toute façon, j'ai ensuite entendu Howard
Levy et Carlos Del Junco et je commençais
à m'intéresser au jazz et au bebop
et tout ça. Pendant un moment, je voulais
arrêter l'harmonica et me consacrer à
un instrument plus facile à jouer de façon
chromatique. Mais ces types m'ont permis de tomber
amoureux de mon instrument pour la deuxième
fois de ma vie. Ils tiennent vraiment autant de
place dans ma vie à présent que Little
Walter autrefois. Au début, ça m'a
demandé beaucoup de travail pour arriver
tout juste à imiter seulement un de leurs
riffs. Mais je suis vraiment content de m'être
mis au travail. C'est tellement gratifiant de pouvoir
jouer un de leurs morceaux
PH : Si tu devais recommander
trois artistes, ou plutôt trois disques, de
la vieille école et trois de la nouvelle
?
JR : D'accord, je dirais
"Hoodoo Man"de Junior Wells, de Muddy
Waters "His Best: 1947 to 1955" et "Hate
to See You Go" de Little Walter. Bon, deux
sont de Little Walter, mais tu m'a demandé
trois disques et c'est trop difficile, je pourrais
en citer quinze.
En ce qui concerne les nouveaux albums, je vais
t'en citer quatre. D'abord, "Mother Mojo"
de Satan and Adam. "Big Boy" de Carlos
Del Junco est un album d'harmonica inoubliable.
Et puis, hmmm, "Nice and Strong" de Paul
DeLay. Et "It's About Time" de Pat Ramsey.
Ce sont vraiment de bons disques.
Et si je peux citer rapidement Mark Ford, Norton
Buffalo, Dennis Gruenling. Ces types sont géniaux,
ils ne font pas d'overblows ni rien, mais ils sont
en train de révolutionner l'instrument à
leur manière.
PH : Et qu'en est-il de Sugar
Blue et de John Popper que tu as évoqués
plus haut ?
JR : Je leur suis très
reconnaissant. Mon opinion a beaucoup changé.
Autrefois, je les critiquais beaucoup. Maintenant
je les écoute tous les deux, Popper ET Sugar
Blue. S'ils n'étaient pas là, le grand
public ne connaîtrait l'harmonica. Je sais
que Dieu a envoyé John Popper sur terre à
cette époque parce qu'on avait besoin qui
brûle les planches avec de la vitesse, de
la fantaisie, de la classe, du brio et tout et tout...
Le grand public avait besoin d'associer l'harmonica
à quelqu'un d'autre que Neil Young et Bob
Dylan. Il est le Eddie Van Halen de l'harmonica
en ce qui concerne la vitesse, tout comme Sugar
Blue, mais dans un genre plus bluesy. J'admire vraiment
Popper de faire son truc à lui et je suis
très fier de lui. Je sais qu'il vient de
la même école que toi et moi. Je sais
qu'il aime Little Walter, qu'il ne manque pas de
respect aux anciens. Il a juste en tête que
l'époque est différente, que lui est
une personne différente et qu'il ne pourra
jamais être Little Walter et il le sait. Il
est John Popper, il est unique et je l'aime pour
cela.
PH : Parlons du CD que tu
viens d'enregistrer...
JR : Oui, je l'aime vraiment
bien. Il s'appelle "Dedicated". Les trois
quarts des morceaux sont instrumentaux.
PH : Quels morceaux joues-tu
sur cet album ?
JR : Je joue sur "Prodigal
Son", qui est un morceau traditionnel et sur
"Soul Serenade" de King Curtis. C'est
avec les musiciens de mon groupe de Memphis.
PH : Cet album est donc en
boîte, prêt à partir ?
JR : Il est prêt, tout
est fait, il est bon à partir, il ne me manque
que les sous pour le faire masteriser et tirer,
mais je n'arrive pas à trouver pas cet argent
PH : Parlons de ton matériel.
Je sais que tu utilises généralement
des harmonicas Golden Melody, n'est-ce pas ?
JR : Oui, et j'en jouerai
pour le restant de mes jours, à moins qu'on
invente un harmonica rien que pour moi, ou quelque
chose comme ça ! J'aime la façon dont
ils réagissent et ma fiancée, qui
est chanteuse de jazz et qui est une grande fan
d'Howard Levy, pense que les Golden Melody sont
plus proche de la voix humaine que les autres ;
ils ne sonnent pas aussi "râpeux"
et les altérations sont plus justes. Ce qui,
à mon sens, est vrai. J'ai appris à
les ajuster à la façon dont je joue
et faire en sorte que les overblows soient plus
faciles, aussi s'ils ne sortent pas de la boîte
en sonnant juste, je peux toujours les arranger.
PH : Avec quel ampli te produis-tu
généralement ? Est-ce toujours la
réédition du Fender '59 Bassman ?
JR : Oui, tout le temps.
Je l'adore. Lorsque je jouais en Europe, on m'avais
fourni un Victoria Bassman, mais je préfère
vraiment la réédition Fender qui convient
mieux à mon son. D'autres fois, j'utilise
un assortiment de minuscules amplis à lampes,
comme un Kalamazoo Model et
un Silverface Vibro Champ. Ils sont super mais n'ont
qu'un seul son.
PH : Et le reste du matériel
?
JR : Eh bien, j'ai un micro
Shure SM-57. Je ne veux pas d'atténuation
du son avant qu'il atteigne l'ampli. Ce que je veux,
c'est que tout le son sorte des hauts-parleurs.
J'aime bien un son distordu, mais j'aime qu'il soit
propre en même temps. Un des musiciens que
j'aime par dessus tout, c'est Lee Oskar.
PH : Je sais que tu as essayé
des douzaines de micros différents et tu
reviens toujours au SM-57.
JR : Je suis tombé
sur le SM-57 par accident, parce qu'on m'avait volé
tous mes micros. Je jouais avec Big Al and the Heavyweights,
avec un 57, mais je n'arrivais pas à avoir
assez de retour. Al s'est approché de mon
Bassman, il a baissé les aigus, les basses
et tous les boutons et a poussé le volume
à fond. Et tout à coup, j'ai eu tout
le son que j'essayais d'obtenir avec tous ces fichus
petits boutons. J'ai continué comme ça
depuis, juste avec quelques petits ajustements qui
font désormais partie de mon son.
PH : Des pédales d'effets
?
JR : J'utilise une pédale
d'octave Boss OC-2 que je pousse à fond avec
toutes les octaves complètement baissées.
En réalité, je l'utilise comme un
compresseur, ce qui me permet d'obtenir un son beaucoup
plus fort sans avoir à monter l'ampli à
fond. J'utilise aussi une pédale d'écho.
J'ai pensé à passer à un delay
numérique au lieu d'une pédale d'écho
analogique.
PH : Pourquoi ?
JR : Je ne veux pas du flou
que donne la pédale analogique. En fin de
compte, j'aimerais avoir les deux, mais j'ai des
appréhensions. Je suis encore un petit peu
conservateur, lorsqu'il s'agit de matériel.
J'ai un peu peur d'aller vers ce truc de processeur
MIDI pour harmonica. Je veux garder un peu d'intégrité
à l'instrument
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