Planet Harmonica :
Tu peux nous dire un peu d'où tu viens musicalement
? Où et quand tu as commencé à jouer de l'harmo
?
Lee Sankey : J'ai commencé
assez tard, quand j'avais 18 ans. Avant ça, je n'aimais
même pas la musique à l'école. Ni le classique,
ni les trucs de ce genre. J'écoutais pas mal de
hip-hop depuis que j'avais 14-15 ans, en 83 ça devait
être, mais c'est tout. Et puis un jour, une de mes
petites amies me dit "Viens écouter ce groupe
que j'ai vu l'autre jour". C'était juste à
côté d'ici à Soho sur Dean Street, et il y avait
un harmo dans le groupe. Je suis rentré et j'ai
été comme frappé par la foudre... Je savais que
je voulais jouer de cet instrument. Le son m'avait
pris à la gorge, et c'était le truc le plus cool
que j'avais jamais entendu. Je me suis dit qu'il
fallait que j'en joue. Je ne me suis même pas demandé
si peut-être je n'y arriverais pas, ou que je serais
nul. Le lendemain, je suis allé m'acheter un harmo,
et ça a commencé comme ça. J'ai commencé à écouter
du Sonny Boy Williamson, du Little Walter... Ma
mère avait travaillé pour le label CBS dans les
années 60 et elle avait une collection de vinyles
impressionnante que jusque là j'avais complètement
ignorée. On ne se dit jamais que sa mère peut écouter
de la musique cool. Je ne me rappelle pas qu'elle
ait jamais écouté aucun de ces disques, parce qu'entre
temps elle était passé à d'autre trucs, mais tout
y était : Charlie Parker, Sonny Rollins, Lightning
Hopkins, Paul Butterfield... tout y était... Alors
j'ai commencé à bosser comme ça.
PH : Tu bossais par toi-même
?
LS : Ouais, je me suis auto-formé.
J'ai commencé à jouer dans un groupe au bout de
trois mois ; ça m'est venu très naturellement. J'ai
toujours eu beaucoup de confiance en moi, donc je
pensais que je sonnais d'enfer. Je suis sûr
maintenant que je jouais de la merde, mais je m'en
foutais parce que ça me bottait tellement... L'harmonica
est un instrument très spirituel, parce que quand
tu aspires, la note est à l'intérieur de toi. Et
pour moi c'est vraiment émouvant et passionnel en
même temps. C'était comme une drogue. Je ne pouvais
pas m'arrêter de jouer. Je séchais les cours pour
bosser de six à huit heures par jour, et mon jeu
s'est construit comme ça.
Ensuite, j'ai eu la chance de rencontrer
Paul Lambn qui m'a vraiment beaucoup aidé. On se
voyait souvent et il me montrait des trucs. On était
vraiment très proches. Plus tard, j'ai commencé
à développer mon propre style. On est toujours des
super potes. Musicalement, il est beaucoup plus
blues traditionnel ou west coast. C'est ça qu'il
aime et c'est ça qu'il joue. Il n'est pas intéressé
par la célébrité. Il fait son truc et il le fait
bien, en s'éclatant. Musicalement, j'étais
intéressé par d'autres choses.
PH: Du coup est-ce qu'on
pourrait dire que tu avais certaines influences
au niveau harmo et d'autres influences musicales
venant des styles différents que tu écoutais ?
LS : Clairement, oui. Il
n'y a pas à dire, Muddy Waters, Sonny Boy et Little
Walter ont joué parmi les plus extraordinaires musiques
qui aient jamais été jouées. Mais en temps que mec
blanc né dans le Surrey, je ne sais rien de la récolte
du coton, tu vois... Alors si je veux être un musicien
de blues, je dois exprimer ça de ma propre manière.
En plus, je ne veux pas être limité par un genre.
Il y a plein de super musiques. Quand j'entends
Public Enemy, Joshua Redmond, Michael Brecker, Portishead,
Cassandra Wilson, Dave Holland, D’Angelo, tout ça
c'est des inspirations… Pourquoi dire que parce
que ça n'est pas "One-legged Blind-Boy Jefferson",
ça n'est pas du blues ? C'est débile. En tout cas,
pour moi ça veut rien dire, et je pense que c'est
un des gros problèmes de la scène blues aujourd'hui.
Je sais pas comment c'est en France ou ailleurs,
mais ici, ce qui cloche c'est que l'emphase est
mise sur la réinterprétation et pas sur la création
de nouvelles idées. Tu sais, tous ces bluesmen célèbres,
les Muddy Waters, les Buddy Guys et les Junior Wells,
ils étaient innovants à leur époque. Ce qu'ils faisaient
était neuf. S'ils étaient encore ici aujourd'hui,
ils continueraient à faire leur propre truc, et
c'est ça que je veux faire : mon propre truc. J'ai
appris beaucoup d'eux, je respecte complètement
ce qu'ils ont fait, ce sont des légendes pour moi
et leur musique ne vieillit pas. Mais je veux exprimer
mon propre truc. Bien sûr, ma musique est influencée,
et j'aime aussi jouer du shuffle et je m'éclate,
mais pourquoi se limiter à ça ?
C'est ce que j'ai essayé de faire
avec mon premier album. Je ne voulais pas faire
un disque de shuffle. Des shuffles, il y en a quelques
uns, il y a des trucs traditionnels, je ne veux
pas non plus aller trop loin trop vite. Et puis
j'aime les trucs traditionnels. Mais pourquoi enregistrer
un album que je possède déjà ? Il y a tellement
de groupes qui se contentent d'enregistrer des albums
qu'ils ont chez eux...
PH: Ils répliquent ce qu'ils
ont entendu...
LS : C'est OK de faire des
reprises si tu ajoutes quelque chose ou que tu le
fais partir dans une nouvelle direction. Mais le
monde n'a pas besoin d'un nouveau Stevie Ray Vaughan.
Cela a déjà été fait. Il y aura d'autres grands
guitaristes de blues, mais de la même manière que
Stevie Ray Vaughan a pris des choses à Hendrix et
Albert King et les a poussées dans une nouvelle
direction, quelqu'un prendra quelque chose à Stevie
pour le pousser en avant. En ce qui concerne le
blues, à mon avis, la vraie évolution, elle est
dans les paroles, pas dans la musique. Les musiciens
de blues doivent retourner à la feuille et au stylo
et essayer d'exprimer des émotions plutôt que de
reproduire des riffs de Little Walter. Pour moi,
l'important c'est la chanson et l'écriture.
PH : Je suis plus que d'accord
avec ça !
LS : C'est comme ça que
le blues avancera : il y a tellement de trucs qui
sortent où les paroles sont froides. Il n'y a aucun
feeling là-dedans...
PH: En général ils écrivent
un truc qui rime vaguement pour que ça ait l'air
d'un vieux blues. Mais c'est sans saveur. Il n'y
a pas de contenu...
LS : Il n'y a pas de concept.
Mais tu sais c'est dur d'écrire quelque chose de
différent : tu te retrouves coincé entre deux camps
: t'es pas assez innovant pour passer pour du jazz-fusion
ou du hip-hop pur et dur, donc ces mecs là ne veulent
pas de toi, et t'es trop différent du blues traditionnel
et du coup ceux-là te descendent. T'es coincé au
milieu. Les blueseux te disent "c'est beaucoup trop
radical", et les autres "c'est pas assez radical"...
Moi, j'essaie d'ignorer tout ça et de faire un bon
disque. Et quand je joue live, m'assurer que c'est
un super set, que ça vient du cur. Et ça marche.
On fait un truc par ici qui s'appelle le Blue-Bop
Shop. C'est une soirée en club, où on a des DJs
hip-hop, des DJs Drum-n-Bass DJs et mon groupe qui
joue du blues et des compos. Dans le set on met
toujours au moins un slow blues et un shuffle en
12 mesures classique. Je te jure que tous les mecs
en bonnets et bottes Adidas se démènent sur la piste
et adorent ça ! Mais si tu fais ça toute la soirée,
il n'y a plus de variété et ils s'emmerdent... Pour
moi c'est ce mélange qui fait avancer les choses.
PH : Je dois
t'avouer qu'en lisant le livret du CD, je m'attendais
à quelque chose de plus radical. Les commentaires
sont écrits de telle manière qu'on a l'impression
que tu es le révolutionnaire du blues... Mais apparemment
Darren (l'agent de Lee) me dit que vous
avez volontairement laissé de côté plusieurs morceaux
plus hip-hop histoire d'amener ton truc plus graduellement
et de garder une connexion claire avec du blues.
Dans ton esprit, quand est-ce que ça cesse d'être
du blues ?
LS : Jamais ! c'est une
question de perception. Bien sûr, j'aimerais pouvoir
dire que je men tape de ce que tout le monde pense,
mais si tu veux vivre de ta musique, il faut quand
même que les gens respectent ce que tu fais et l'achètent...
Alors même si je fais ma musique pour moi avant
tout, et que je ne change rien pour faire plaisir
à qui que ce soit, si j'ai une série de morceaux
(et pour cet album j'en avait largement trop pour
un seul album) j'ai intérêt à les sélectionner intelligemment.
En tant que musicien, on évolue et on change constamment.
Depuis que j'ai fait cet album j'ai déjà beaucoup
changé musicalement. Mais pour moi, même si ma musique
est une fusion de beaucoup de genres, le feeling
prédominant reste celui du blues. Le Blues, c'est
un concept très ouvert, un mot très vague, alors
j'essaie d'oublier l'association du blues avec "I
woke up this morning", le noir qui chante sa
complainte. Pour moi, ça c'est du blues,
évidemment, mais pas forcément le seul
blues.
Au bout du compte, la seule chose
qui importe c'est ce que les gens en pensent. C'est
eux qui vont en parler et critiquer. D'une certaine
manière, ce que l'artiste lui-même pense n'a pas
beaucoup d'importance. Il fait son truc, elle fait
son truc, c'est diffusé, et les gens réagissent.
Pour moi, tout ce que je fais est du blues.
PH : En parlant de critiques,
tu as eu des très bonnes critiques dans la presse
blues anglaise. Je crois que l'album a été numéro
1 des ventes blues chez HMV (équivalent
anglais de la FNAC) ?
LS : Oui, j'ai eu plusieurs
"numéros 1". Numéro 1 dans Juke Blues magazine,
numéro 1 des charts nationaux de blues de Tower
Records, numéro 1 des ventes blues au Virgin d'Oxford
Street juste au coin. C'est eux qui vendent 80%
du blues en ce moment...
PH: Plutôt cool pour un
premier album, non .
LS : Ça c'est vraiment
bien vendu. Quand il est sorti, au début, l'album
ne restait pas trois secondes sur les points d'écoute.
C'est vraiment chouette pour l'harmo aussi ! en
plus, j'ai eu deux super critiques aux US, dans
Blues Review et dans le San Francisco Times...
PH: L'album est distribué
aux US maintenant ?
LS : Non, parce que j'essaie
de le faire moi-même. Tu vois, le problème c'est
que la plupart des labels de blues n'ont aucune
idée de ce qu'ils font. Ils sont complètement déconnectés
du public. La manière dont ils packagent les albums,
la manière dont ils les commercialisent... C'est
tellement petit-bourgeois, on dirait qu'ils sont
tous restés coincés dans les années 50 ou 60...
C'est de la merde ! je peux me débrouiller mieux
tout seul en termes de graphismes, de couverture,
de livret et de marketing. En plus, personne ne
prête autant d'attention à ta musique que toi-même.
A mon sens, un des seuls labels qui aie vraiment
une manière intelligente d'aborder le blues c'est
Rykodisc…
Bref, j'avais eu des touches avec
Sony et Island Records quand j'ai commencé à tourner,
mais c'est tombé à l'eau. J'entendais les
trucs qu'ils disaient : c'est trop bluesy, fais
ci, fais pas ça... Ce disque, c'est le disque que
je voulais faire, du coup, je l'ai fait moi-même.
J'ai pas rechigné à la dépense, l'ingénieur du son
c'était Phil Brown, le mec qui a fait "Stairway
to Heaven", bossé avec les Stones et filé un coup
de main pour "Electric Ladyland". On a enregistré
dans un super studio qui s'appelle Protocol à Londres,
où plein de bons albums de blues se sont faits,
et on a mixé ça au studio d'Eurythmics, the Church.
C'est pas un album enregistré comme l'habituel CD
de groupe de blues 12 mesures qui écume les bars.
On l'a fait comme une major l'aurait fait.
Je suis très fier du résultat. Bien
sûr, ça ne sort jamais à 100% comme tu l'espères,
mais considérant où j'en étais musicalement à l'époque,
je trouve que c'est vraiment un chouette album,
et je suis content de ce que ça a donné.
Bref, les critiques ont vraiment
été super. Je crois que j'ai eu deux mauvaises critiques,
par des mecs qui sont complètement dans ce trip
traditionaliste. Ça les intéresse pas ce
genre de trucs, donc je men tape un peu. Ils ont
droit à leur opinion.
Mais malgré ça, c'est dur : maintenant
l'album est distribué en Scandinavie, mais je n'ai
pas de distributeur en France par exemple. J'adorerais
le faire distribuer en France, et en Allemagne et
aux US aussi. Mais comme je veux le faire sur mon
propre label, ça prend du temps. Je le ferais peut-être
distribuer indirectement aux US en raison de la
quantité de fric qu'il faut pour le faire soi-même
là-bas...
PH: Et la distribution électronique,
Internet, etc., tu y penses ?
LS : J'ai mon propre site
web, http://www.leesankey.com/,
et les gens peuvent l'acheter là. C'est une première
étape. C'est tellement nouveau la distribution par
Internet que j'hésite... Je crois que très rapidement
les magasins sur Internet deviennent exactement
comme des magasins normaux. Les magasins sont surchargés
: quand tu rentres dans un magasin de disques, tu
croules sous le choix d'artistes. C'est très dur
de se distinguer du reste. Je crois qu'Internet
est en train de devenir pareil : Il y a tellement
de choix que trouver un truc qui te plaise devient
de plus en plus dur. Amazon et les autres sont en
train de devenir exactement comme les magasins normaux...
Bref, j'ai pas encore décidé de ce que je voulais
faire. Je crois que la technologie a beaucoup à
proposer, mais il faut le faire de la bonne manière.
PH : Je vois. Sur un autre
sujet, un des trucs qui m'a beaucoup plu sur l'album,
c'est que les chansons semblent réellement avoir
été écrites. Pas gribouillées en trois minutes mais
réfléchies, posées. Comment écris-tu ? Est-ce que
tu commences par les paroles ou est-ce que tu as
d'abord des mélodies en tête ?
LS : c'est différent pour
chaque chanson. Je ne crois pas qu'il y ait une
"recette", sauf peut-être dans la pop qui semble
bien pour une formule. Écrire, c'est quelque
chose de très personnel, et je suis heureux que
tu me dises ça de ma musique. Tout ce dont je parle
c'est du vécu, des choses qui me sont arrivées,
ou qui m'ont été racontées.
Je ne m'assieds jamais en me disant
"Tiens, je vais écrire une chanson" Parfois j'ai
une mélodie dans la tête, parfois plutôt des bribes
de texte ; chaque naissance est différente. Il y
a sans doute des gens qui ont une méthode, mais
moi, je ne peux pas le forcer. Du coup chaque chanson
est très différente de la précédente. Je pense qu'on
peut dire que toutes commencent avec une idée. Tu
vois un truc dans la rue, ou il t'arrive quelque
chose...
PH: et tu te dis "Ça
pourrait faire une super chanson"...
LS : ouais Ou tu dis une
phrase et tu commences à la répéter. Le texte, pour
moi, c'est ce qu'il y a de plus important. Je rentre
de plus en plus dans une sorte de poésie blues.
C'est ça que j'aime dans le rap, aussi. Ça
vient de la rue, c'est vrai. Ça reflète la
violence et la drogue de leur culture. Une chanson
doit venir de l'expérience pour être vraie.
PH: Il y a un autre truc
dont je voulais te parler : il n'y a pas beaucoup
d'instrumentistes, à défaut d'un meilleur mot, qui
ont le courage d'employer un vrai chanteur. Un des
trucs qui m'agace vraiment avec les musiciens de
blues, c'est qu'ils sont parfois d'excellent instrumentistes,
mais qu'ils ne savent pas chanter. Mais ils insistent
quand même pour prendre le chant. Ce ne sont pas
des chanteurs, juste des gens qui chantent, si tu
vois ce que je veux dire. Je trouve que tu as vraiment
fait un super truc en embauchant un chanteur, parce
qu'il a une voix d'enfer, et qu'il fait briller
les textes.
LS : je pense que ton commentaire
est assez juste. Beaucoup de ce qu'on entend en
matière de blues est sans âme. Comme je le disais
tout à l'heure, le texte pour moi c'est l'essentiel.
Une chanson sur l'album qui représente bien ce souci
est "Only my Baby". J'adore vraiment le
texte de cette chanson. Je ne pourrais pas lui rendre
justice en la chantant moi-même. Et le reste du
groupe est tellement bon, que je crois que c'est
important que le texte soit bien chanté. Les gens
qui vont lire cette interview sur Planet Harmonica
sont vraiment branchés harmo. Du coup ils écoutent
un morceau différemment. Mais la plupart des gens,
lorsqu'ils écoutent un disque, n'entendent même
pas l'harmo, les solos de guitare, la basse... Du
coup, les paroles sont vraiment importantes. Pourquoi
les chanter mal ? Pour moi, c'est un peu con. Et
puis je ne chante pas bien. Je chante juste assez
bien pour chanter la mélodie au chanteur et le laisser
faire son boulot (Rires...).
PH: c'est pas trop dur d'un
point de vue ego ? Beacoup de gens s'attendent à
ce que le chanteur soit le leader dans un groupe.
C'est généralement lui qui parle au public, qui
est le plus ouvert et scénique...
LS : C'est dur, c'est vrai.
J'ai eu beaucoup de chance avec les chanteurs avec
qui j'ai bossé. Et David a vraiment un talent fou,
il aura sûrement une carrière solo à l'avenir. Mais
encore une fois, c'est une question de perception.
Cela ne me dérange pas trop. Je ne chante pas bien,
donc j'ai un chanteur. Si les gens pensent que c'est
son groupe, c'est leur perception. Mais c'est mon
groupe : j'écris les textes, la musique, les arrangements,
je fais la tchatche sur scène, les introductions,
j'explique les chansons. David ne fait pas tout
ça. Et puis dans tous les cas, on saute tous partout
sur scène !
Je vais te dire ce qui est pire
: c'est le guitariste ou l'harmoniciste qui chante
un ou deux couplets, et une fois que cette corvée
est passée, il peut jouer son solo pendant cinq
minutes. Je pense que c'est pire, parce que c'est
une formule répétitive, à chaque chanson...
PH : Et ça implique que
les paroles sont creuses, juste du remplissage...
LS : Tout à fait ! Pour
moi c'est pire que de ne pas pouvoir chanter et
de prendre un chanteur. Je joue beaucoup de gratte
sur scène, et de l'harmo. Mais j'attends le bon
moment. Je sors du bois juste quand c'est nécessaire.
Du coup ça a plus d'impact, plus de relief. Et honnêtement,
j'ai beau rester dans le décor parfois, les gens
savent que c'est mon groupe. S'ils viennent au concerts
et qu'ils s'éclatent, ils se souviendront du nom
du groupe et ils s'intéresseront à ce qu'on fait.
Ça me va ! Il y a des gens qui ne remarquent
pas l'harmonica. Il y a des gens qui me disent "Bravo,
le guitariste !". L'expérience de chacun
est différente.
Je pense que je parlerais peut-être
sur mes prochaines disques, cela dit...
PH: Du rap ?
LS : Plutôt de la
poésie....
PH: Quels sont tes projets
?
LS : A l'heure actuelle,
je travaille avec des producteurs hip-hop et drum
'n' bass à Londres. Je vais peut-être aussi faire
un album plus classique, acoustique, mais avec des
compos, avec un mec qui s'appelle Ian Siegle. Dans
tous les cas mon prochain album et celui encore
d'après sont plus ou moins écrits et terminés. Mais
il me faut quelque chose comme vingt mille livres
pour en faire un correctement, et c'est ça que je
veux faire. Je veux aussi tourner, et c'est ça que
j'essaie de faire en ce moment.
PH : On peut parler un peu
de ton jeu d'harmo ?
LS : Bien sûr !
PH : Un truc qui m'a marqué,
c'est que tu sonnes plus gonflé au diatonique qu'au
chromatique. J'ai le sentiment que tu gardes le
chromatique pour les morceaux plus jazzy, avec un
son un peu tootsien coulant, alors que tu utilises
le diato sur les trucs funky et un peu plus aventureux.
Comment ça s'articule ?
LS : J'adore les deux. Mais
je sais qu'au chromatique, j'ai encore beaucoup
de boulot. Je joue mieux que beaucoup de gens, et
je pense que ma force c'est que je joue de la guitare,
que j'écris, que je produis, et que je joue bien
de l'harmo. Il y a peu de gens qui peuvent faire
tout ça. Fut un temps, je voulais devenir le meilleur
joueur d'harmo du monde. Peut-être que j'y reviendrais.
J'ai envie d'être connu comme un bon harmoniciste.
Et je pense que mon son et mes phrasés me donnent
la possibilité de le faire. Mais le chromatique,
c'est l'uvre d'une vie ! C'est un animal difficile
à maîtriser. Tu ne peux pas te jeter dessus et lui
tirer les tripes comme au diatonique. Il faut être
plus doux pour l'apprivoiser...
PH: Peut-être plus systématique
aussi ?
LS : Ouais, les gammes,
tout ça… Récemment, j'ai beaucoup travaillé mes
textes et l'écriture, donc l'harmo et la guitare
progressent moins. Je joue toujours de deux à trois
heures par jour, mais à une époque, c'était huit
à dix ! Donc je bosse pas mal encore, et je pense
que je suis un des meilleurs joueurs de chromatique
en Angleterre. J'ai fait des concerts partout en
Europe, et j'ai un bon son. Un gros son. Je peux
assurer mon William Clarke.
Mais jouer comme Toots... C'est
un dieu ! Une légende. Il faut se consacrer à ça
uniquement à ça, comme Stevie Wonder au début. Je
pense que mon style évoluera avec le temps.
La plupart des joueurs de chromatique
blues n'utilisent que la première position. Moi,
j'essaie de me servir de l'instrument chromatiquement,
jouer en majeur, pas seulement en mineur. Je travaille
pas mal le jeu en Do aussi. J'aime beaucoup ça.
Au niveau du diatonique, je me concentre sur la
seconde position, parce que les possibilités sont
infinies. J'aime beaucoup la première position aussi,
et je m'aventure en quatrième ou cinquième, mais
plutôt sur huit mesures pour suivre une modulation,
tu vois, plutôt que sur tout un morceau. Histoire
de changer de sonorité. J'aime bien les modulations
aussi. Ça sonne jazzy. Voilà grosso modo
ce que je travaille. Tous les mecs comme Howard
Levy jouent dans des positions étranges, et techniquement,
c'est impressionnant. Mais je ne trouve pas que
ça sonne toujours très bien... C'est plus une prouesse
technique que quelque chose de musicalement valable.
Howard est peut-être un mauvais exemple, c'est vraiment
un musicien superbe. Mais pas mal de mecs sont plus
axés sur les aspects techniques de l'instrument
que sur le feeling. Pour moi, le son c'est ce qu'il
y a de plus important dans le jeu d'harmo, par exemple.
PH : Je vois ça un peu différemment.
Je pense qu'il y a certains joueurs qui l'intègrent
techniquement plutôt que musicalement. Mais d'autres
jouent des trucs superbes. Il y a des mecs en France
qui jouent des trucs jazzy, voire du be-bop au diatonique,
et ça sonne d'enfer !
LS : On a personne comme
ça ici ! J'aimerais bien entendre ça ! Tu sais,
on bosse dans son pays, et on ne sait pas ce qui
se fait ailleurs. J'ai du mal à croire qu'on puisse
swinguer et rentrer dedans en utilisant des overblows.
Je suis capable de jouer des overblows ici ou là,
mais je trouve que tu peux pas attaquer un overblow
en 6 comme tu attaques un 3 altéré pour avoir la
note bleue. Tu me diras, vu la manière dont les
harmos sont faits aujourd'hui... On ne trouve plus
de bons harmos et on est forcé de les ajuster soi-même
tout le temps...
PH : Tu joues des harmos
standards ou tu les fais customiser ?
LS : J'adorerais jouer des
Filiskos, mais la liste d'attente est tellement
longue... Je suis sponsorisé par Hohner, donc j'ai
tous mes harmos gratuitement, et au bout du compte,
vu ce que je joue, un bon Marine Band Handmade c'est
l'idéal... Tu peux les bidouiller un peu toi même
pour ajuster l'écart des lamelles, et quand ils
sont bon ce sont des super harmos. Mais à un moment
il y a quelques années la qualité était tellement
nulle qu'ils étaient injouables. Ça va un
peu mieux, je crois qu'ils ont recommencé
à utiliser l'alliage qu'ils utilisaient précédemment
pour les lamelles. Les derniers que j'ai reçu étaient
vraiment biens. Je joue essentiellement des harmos
standards.
J'ai un gars qui me les bidouille
un peu quand même, parce que j'ai besoin qu'ils
soient en condition optimale. Je m'adresse à
Bill Stewart ou Tony Danaeker pour ça. Si une lamelle
se désaccorde, je la réaccorde. Mais je suis pas
un techos de l'harmo. La vie est trop courte ! Je
préfère passer mon temps à bosser l'harmo. C'est
pareil avec les accordages : si ta vocation est
de devenir un harmoniciste superbe, il y a plein
de trucs à faire et à apprendre pour toute une vie.
Mais pour moi une bonne partie de cet effort ne
produit pas de belle musique !
Ça revient à ce que je disais
tout à l'heure sur l'importance de l'émotion, du
phrasé et du son. Je me fous du niveau technique
de quelque chose si ça sonne pas. C'est vrai en
particulier de tous ces mecs qui essaient de jouer
à un million de kilomètres heure. C'est époustouflant
techniquement, j'adorerais savoir le faire, mais
par moments on a l'impression qu'ils étranglent
un chat. Je préfère entendre BB King que Steve Vai
! B.B. King ne peut rien jouer de ce que joue Steve
Vai, mais il suffit qu'il joue deux notes et ça
sonne. Je peux jouer assez vite, mais pas comme
ces mecs là. Ça m'intéresse pas franchement
d'ailleurs. Les seuls joueurs qui savent s'y
prendre sont Sugar Blue et John Popper, mais c'est
quand même pas mon truc. Je préfère l'approche de
Kim Wilson ou William Clarke. Blues Traveler c'est
cool, j'ai beaucoup de respect pour eux musicalement,
parce qu'ils écrivent des bonnes chansons, mais
l'harmo, ça le fait pas pour moi. Je sais que beaucoup
de gens adorent, mais pour moi c'est trop technique.
A certain point, comme dans le jazz,
ça devient plus technique que musical, et il n'y
a plus que des fanatiques à qui ça plaît.
Ça ne m'intéresse pas. Bref, il y a beaucoup
de trucs qui sortent, beaucoup d'harmonicistes,
des bons et des mauvais. Ça m'intéresse toujours
d'entendre des mecs nouveaux qui jouent des trucs
nouveaux. Mais pour le moment j'en ai pas entendu
qui faisant sonner ça...
Quand je joue sur scène, je joue
un morceau au chromatique, ensuite de la guitare,
de nouveau du chromatique, puis du diatonique. Je
change constamment, donc je n'ai pas le temps de
me chauffer. C'est là-dessus que je veux travailler
maintenant. Parce que quand tu prends ton chromatique,
ou que tu passes du chromatique au diatonique, il
faut ajuster ta façon de penser. Quand tu carbures
bien au diato, finalement, ça va au-delà de l'instrument
: tu dois pas penser, ça doit venir tout seul. Et
de faire ça ensuite au chromatique et à la guitare,
c'est très difficile. C'est ça que je travaille
en ce moment, de devenir un bon musicien, tous instruments
confondus. Je veux être reconnu comme un bon musicien,
un mec qui écrit des bonnes chansons et même pourquoi
pas un bon harmoniciste ? Je ne sais pas trop...
PH : On peut s'attendre
à une nouvelle sortie... Quand alors ?
LS : Ça n'est qu'une
question d'argent. Je pourrais aller l'enregistrer
demain, j'ai un super groupe, je sais ce que je
veux faire, quels morceaux etc. J'espère pouvoir
le faire d'ici fin 2000. J'espère aller tourner
en Scandinavie et en Allemagne aussi. Je viens de
passer deux mois en Australie aussi, et c'était
génial. J'ai joué dans quelques clubs là-bas et
ils ont adoré, donc j'espère me refaire l'Australie
aussi. Donc je pense qu'en 2001 le nouvel album
sortira. Je pourrais le faire plus tôt mais pas
par moi-même, et je n'ai pas envie de céder les
droits à un label pour le moment.
Par contre, j'ai un EP 5 titres
qui sort bientôt. Il sera en vente dans les principaux
magasins de Londres. Ça s'appelle "She’s
not alone" et il y aura deux nouveau morceaux studio
et 3 morceaux live dont deux nouveaux.
PH : Lee, merci pour ton
temps. j'espère que tout ça va continuer sur sa
lancée. En tous cas, j'attends impatiemment la prochaine
sortie. On se revoit à ce moment là ?
LS : Quand tu veux !
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