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Interview : Brendan Power

 

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Brendan parBrendan Power est considéré par beaucoup comme l'harmoniciste le plus innovant dans le domaine de la musique irlandaise. Non seulement   il est un joueur différent et brillant, mais il est aussi un technicien de l'harmonica exceptionel et un bricoleur imaginatif. J'ai eu la chance de le rencontrer dans son "labo" à Londres fin 99, et il nous parle ici de son approche, de ses projets et de quelques unes de ses expériences les plus intéressantes.
Planet Harmonica : Brendan, ton style est un mélange inhabituel, et je me demandais tout d’abord comment tu en es venu à jouer de l’harmonica, et ensuite comment tu es arrivé à maîtriser ce mélange des genres.

Brendan Power : Un peu comme tout le monde, je suppose : le blues. Sonny Terry et Brownie McGee ont fait une tournée en Nouvelle-Zélande en 1976, j’étais étudiant à ce moment là et je n’avais jamais trop écouté de musique, je n’en avais jamais joué non plus avant ça. Mais en entendant ce blues, son côté rugueux et le son de l’harmonica, j’étais soufflé ! Alors, comme sans doute un million d’autres gens, je suis allé dès le lendemain m’acheter un disque d’harmonica. Je suis entré dans la boutique et j’ai demandé : "Avez-vous quelque chose avec de l’harmonica dessus ?". Et on m’a vendu un album de Bob Dylan, "Blood on the Tracks", qui est un album génial. Je n’avais jamais trop écouté Bob Dylan et ça m’a bien plu, mais sa façon de jouer de l’harmonica, ce n’était pas vraiment ce que je cherchais...

Alors on m’a fait écouter Sonny Boy Williamson, et j’en suis devenu dingue. Je ne comprenais rien aux positions, ni à la théorie, ni même comment jouer des notes claires et tout. Pendant près d’un an, j’ai essayé de jouer en donnant à ma langue la forme d'un U... Il n’y avait pas alors de profs d’harmo, en tout cas en Nouvelle-Zélande. Alors c’était un véritable combat que d’essayer de continuer à s’exercer tant bien que mal. Mais, peu à peu, j’y suis arrivé.

En ce temps là, à Christchurch, la scène folk-dance était plutôt florissante, avec ce qu’on appelait des "Bush Bands" là-bas en Nouvelle- Zélande. Les Bush Bands sont en fait un mélange de skiffle de la fin des années 50 et de musique irlandaise. On a donc les violons jouant la mélodie et puis une sorte de section rythmique acoustique avec une basse washtub et d’autres trucs. En tout cas, c’était un genre de musique "maison", sans façons. Mais c’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à la musique irlandaise, en entendant jouer ces groupes. Le père de mon père était irlandais. On avait quelques disques irlandais à la maison que j’avais entendus étant enfant. Alors je m’y suis intéressé pas mal, tu vois : "Ben, Je me demande comment on peut jouer ça sur un harmonica ?". C’était au début, quand j’essayais de trouver comment ça marchait.

Ensuite, j’ai entendu Charlie McCoy, et j’ai vraiment accroché avec son style de jeu pendant 2-3 ans. Il fallait que je ralentisse tout, j’avais un vieux tourne-disques à 16 tours ; Je n’arrivais pas à y croire quand je l’ai entendu pour la première fois ! Son style m’a vraiment intéressé. Et puis après ça, je me suis mis à écouter des violoneux et des joueurs de saxo, c’est comme cela que je me suis intéressé un peu à la musique irlandaise et au blues, bien que j’ai été totalement fana de blues les 2 ou 3 premières années.

PH : Dans le milieu du blues, il y a des gens très puristes. Et, manifestement, en écoutant tes morceaux irlandais, ils ne sont pas très traditionnels. Tu y apportes autre chose. Trouve-t-on le même genre de puristes dans le style irlandais ?

BP : Tu m'étonnes ! Et même encore plus radicaux. Oui, les puristes du blues sont en général des types blancs qui se sont pris au jeu en écoutant du blues. Mais les puristes irlandais, c’est la musique traditionnelle de leur patrie. Alors, pour certains d’entre eux, quelqu’un qui vient d’un autre pays et qui joue dans un style un peu blues et qui rajoute du blues dans les morceaux traditionnels, c’est quasiment une hérésie : il faut l’excommunier ! Mais il y a aussi beaucoup d’autres jeunes musiciens irlandais qui font un tas d’expérimentations de leur côté, ça n’est tout blanc ou tout noir.

Une des raisons qui font que j’ai eu un peu de succès ici est que j’ai fait cet album et qu’il avait un son différent. Les jeunes musiciens l’ont écouté en Irlande. Alors j’ai commencé à recevoir beaucoup d’appels pour venir jouer sur les disques d’autres gens. Bon, il y a des puristes qui n’approuvent pas ce genre de choses, mais je dirais que la majorité des musiciens est intéressée par un nouveau souffle dans la musique traditionnelle. Je n’ai pas vraiment eu de problèmes...

PH : Revenons à ce truc bluesy : à certains moments en particulier, tu utilises ces rythmiques à la Sonny Terry qui collent vraiment bien... Penses-tu qu’il y a un peu de sang irlandais dans le langage blues, plus particulièrement dans le blues acoustique d’avant-guerre, et que c’est pour cela que ça colle, que ça se mélange si bien ?

Amplified Gussow

The Real Blues Reel

Amplified Gussow

Jig Indigo


BP :
Oui, il y a une véritable affinité entre les âmes de ces deux musiques. La musique irlandaise a plutôt tendance à être assez dansante et rapide, mais il y aussi des morceaux lents, qui sont vraiment tristes et pleins d’âme, très bluesy, tu vois. Et je suppose qu’il y a une affinité entre les peuples qui ont fait cette musique. Les deux avaient beaucoup de problèmes d’oppression, avec leurs maîtres et autres. Alors, oui, je pense que cela a eu une influence sur la manière de faire la musique.

Ces dernières années, j’ai arrangé quelques morceaux qui sont une sorte de croisement entre les deux styles. Je vais t'en jouer un. Celui-ci s’appelle The Real Blues Reel, il a la forme d’un reel irlandais, mais sur une gamme blues. Il a une forme AABB mais joué sur un harmonica diatonique. (Brendan joue The Real Blues Reel)

Je ne sais si tu as pu entendre mais il y a une partie A qui se répète puis s'enchaîne sur une partie B, qui se répète aussi. C’est tout à fait le style d’un reel irlandais lent, mais sur un harmonica diatonique et avec cette gamme blues. Je trouve que ça sonne bien. Voici un autre morceau, une gigue que j’appelle Jig Indigo. (Brendan joue Jig Indigo)

C’est intéressant pour moi de composer de la musique irlandaise pour l’harmonica, parce d’une manière générale c’est un instrument jeune, et plus particulièrement dans la musique irlandaise où il n’a pas de tradition. Alors, en fait, ce qu’on finit souvent par faire, c’est de jouer des airs pour violon ou pour flûte à l’harmonica, ce qui vaut vraiment la peine. Mais il y a aussi de la place pour la composition de morceaux pour harmonica dans ce style. C’est cela qui m’intéresse.

PH : Manifestement, vu tout ce que je vois sur ton établi, tu bricole beaucoup tes harmonicas. Comment choisis-tu les harmonicas pour jouer sur un air que tu ne composes pas ? Est-ce tu prends juste un chromatique pour voir si ça sonne ? Comme tu modifies tes harmos, je me demandais quel était le mécanisme de pensée : est-ce que tu essaies de jouer le morceau sur un harmo donné, et puis tu te dis : "C’est sympa mais il manque telle note, alors je vais modifier l'accordage" ?

BP : Ca arrive. Ou alors je modifie un accordage pour tout un genre musical. Par exemple, pendant un moment je donnais dans le western swing et la septième de dominante manquait en deuxième position. J’ai découvert qu’un accordage country faisait toute la différence. Alors j’ai pensé à l’adapter à l’octave supérieure. C’est ainsi qu’est né cet harmo à onze trous : je jouais un tas de morceaux de style un peu country et pour ça on a vraiment besoin de cette septième de dominante et de son altération.

Ce que je trouve, avec la musique irlandaise, c’est qu’il est vraiment plus facile de jouer bon nombre de morceaux en première position sur un diatonique. C’est plus facile simplement du fait de la construction de l’harmonica Richter, on peut les jouer plus facilement qu’en seconde position, même avec la septième de dominante. Avec un instrument à demi valvé (avec les valves sur les soufflées 1-6 et aspirées 7-10), on peut obtenir beaucoup de feeling sur les notes soufflées, ça reste très expressif.

Il n’y a vraiment qu’une seule note qui manque sur un accordage Richter, c’est le 3 aspiré altéré d’un ton entier (le La sur un harmonica en Do). C’est difficile d’altérer dans des morceaux aussi rapides que les gigues et les reels, surtout quand on doit le faire vraiment très souvent et très rapidement, et le son est très différent. Alors, en fait, j’accorde le trois soufflé un ton au dessus. J’appelle ça l’accordage "Paddy Richter", parce que ça donne une sorte d’harmonica irlandais. Pour le reste c’est un harmonica Richter normal, seul le trois soufflé est haussé d’un ton. Je trouve ça vraiment génial pour la musique irlandaise.

Paddy Richter #1

Accordage Paddy Richter ex. 1

Paddy Richter #2

Paddy Richter
ex. 2

Important Note

La note importante de l'accordage  Paddy Richter

Trills and Decorations

Trilles et ornementations


Cette note est vraiment importante. S’il fallait l’altérer tout le temps, essayer d’obtenir précisément la bonne hauteur à toute vitesse... C’est vraiment difficile. En plus, avec la note adaptée sur l’harmo, on peut faire beaucoup plus de petites trilles ou d'ornementations qui sonnent bien. Voilà, c’est un accordage que j’aime bien utiliser pour la musique irlandaise mais pas pour le blues ou les autres styles. En fait, cela va vraiment avec ce style de musique et en jouant en première ou troisième position ou autre.

PH : Bien, à présent venons-en aux chromatiques, tu les modifies également. Y a-t-il autant d’accordages que d’instruments ?

BP : Oh, oui, des tas d’accordages différents. Et j’ai aussi pas mal d’instruments différents, des modèles différents.

Principalement je joue des CX-12 modifiés. Je trouve le son un petit peu plastique, un peu sourd, alors je perce quelques trous dans les capots et je place ces capots métalliques à l’intérieur... Comme ça on obtient un son plus clair. Mais le design du CX-12 est génial. J’adore son embouchure. Elle est très ergonomique, très agréable sur les lèvres. Et ils sont très faciles à bricoler, on les démonte en quelques secondes.

En plus, je les valve à moitié, comme les diatoniques.

PH : Toutes les notes soufflées sont valvées ?

BP : Une valve intérieure sur le soufflées. Mais toutes les notes aspirées sont sans valve, comme ça on peut altérer chacune d’un demi-ton.

PH : Manifestement tu joues avec tout un tas d’accordages, comment fais-tu pour t’y retrouver ?

BP : Bonne question ! (rires) Disons qu'il y a deux ou trois accordages sur lesquels je peux improviser facilement, sur lesquels j’ai l’habitude de me débrouiller. Mais pour la musique irlandaise, je prends ce Paddy Richter et puis j’apprends un morceau et quelques variations, c’est tout. Je ne l’utiliserais pas pour des improvisations. En fait, j’ai des accordages spécialisés pour certaines choses et un ou deux accordages que j’utilise pour improviser.

PH : Un truc fréquent dans la musique irlandaise c'est de passer d’un air à l’autre dans le même morceau. Est-ce que tu changes d’harmonica ou tu gardes le même ?

BP : On peut changer d’harmo mais ce que je fais plutôt, c’est de constituer un assemblage d'air, deux ou trois, qui  changent de tonalité mais sans nécessiter de changer d’harmonica. On peut passer par exemple de Ré mineur à Do à Sol. Ce sont des tons relatifs, chaque air est dans une tonalité différente mais il n’y a pas vraiment un changement radical. On peut aussi chercher des airs pentatoniques, cela rend le changement de tonalité dans un assemblage plus facile également.

PH : Tu n’as donc pas besoin de penser d’une façon totalement différente quand tu passes de l’un à l’autre.

BP : La gamme de base et la tonalité changent, mais pas radicalement. Si je voulais un changement radical, alors là je changerais d’harmonica pour avoir la dextérité dans la nouvelle tonalité et pouvoir faire les trilles et les motifs appropriés, ce qui ne serait pas possible si on devait faire un tas d’altérations et d’overblows seulement pour obtenir les notes naturelles de la nouvelle tonalité.

PH : Je suppose que la musique irlandaise, comme le blues, a des tonalités plus fréquentes ?

BP : Oui, ce sont des tonalités de violon : Ré, Sol, La, surtout. Ce sont les principales, en majeur. Les autres sont leur mineures relatives : Si mineur, Mi mineur, La mineur, etc.

PH : Tout à l’heure, tu as fait allusion à un groupe jazz dans lequel tu joues...

BP : Oui, PHB : Power, Haig et Bolten. Nous avons enregistré un album, mais le projet est en suspens pour le moment pour différentes raisons. En fait, c’est une sorte de mélange entre du jazz et de la folk ou de la musique celtique, que des compositions originales. Un pont entre ces deux styles. L’improvisation m’intéresse, l’improvisation jazz, mais je ne suis pas encore au point, et j’ai encore du chemin à faire avant de devenir vraiment bon. Mais comme je viens de la musique celtique, qui a elle-aussi des improvisations, je pense qu’on a un son vraiment intéressant.

PH : D’autres projets en ce moment ?

BP : En 99 et début 2000, j’ai tourné avec un type du nom d’Andrew White, et nous avons enregistré en Février 2000 un album qui s’appelle Live in Ireland. Ce sont ses compositions personnelles et les miennes. Lui-aussi a grandi en Nouvelle-Zélande. Il est originaire de Newcastle et il joue des morceaux instrumentaux, des compositions vraiment belles, en plus c’est un bon chanteur. Maintenant il est en train d’enregistrer en solo, il en est à la moitié de l’album, alors le duo est pour ainsi dire décédé, mais je suis content que nous ayons fait l’album, il a de bonne vibrations "live".

Au Sommet de l’Harmonica à Minneapolis, j’ai joué avec un guitariste qui s’appelle Dean Magraw, c’était fantastique. On ne s’était jamais rencontré auparavant mais on a tout de suite accroché tant au plan personnel que musical. C’est le meilleur guitariste avec qui j’ai jamais joué, et j’ai joué avec plein de bons ! Notre concert a fait un tabac et beaucoup de gens ont dit que c’était le meilleur moment du festival. Nous avons tous les deux très envie de jouer et d’enregistrer encore ensemble, et actuellement on y travaille, bien que nous vivions chacun d’un coté de l’Atlantique.

Quoi d’autre ? En juillet 1999, je suis allé en Bulgarie, et j’y ai fait un bon album avec quelques musiciens bulgares. Il n’est pas encore sorti, mais j’espère qu’une sorte de projet live va naître de cela.

PH : C’est de la musique bulgare ?

BP : Quelques morceaux sont purement bulgares, d’autres sont de ma composition, d’autres encore sont des airs que nous avons composés ensemble.

PH : Intéressant. Et tu as définitivement abandonné Riverdance ?

BP : Oui, j’en ai vraiment fini avec Riverdance. C’était une bonne et régulière rentrée d’argent pendant quelques années, mais au bout d’un moment, ça m’a pris la tête. Je jouais exactement la même chose chaque soir, de la bonne musique, certes, et techniquement très valorisante, mais au bout d’un moment je la connaissais par cœur et je rêvassais pendant les concerts..

PH : Oui, je vois. C’était orchestré.

BP : Oui, complètement. C’est un vrai challenge à jouer. Je veux dire les airs... Par exemple, j’ai dû fabriquer un ensemble complet d’harmonicas. Quasiment un par air, parce que tous ces grands sauts dans les morceaux n’étaient pas du tout adaptés à l’harmonica. Alors, j’ai trouvé que le meilleur moyen de réussir à les jouer de façon convaincante, avec du mouvement, de l’émotion, vois-tu, c’était en réalité de faire des accordages très spéciaux.

PH : Comment as-tu obtenu ces engagements au départ ? Est-ce qu’ils t’ont appelé parce ils avaient entendu parler du "New Irish Harmonica" ?

BP : Indirectement, oui ; mais en fait le type qui avait l’engagement était un joueur d’accordéon, un Irlandais, et il ne pouvait pas faire la tournée à Londres. Nous sommes devenus amis parce qu’il s’intéressait à l’harmonica et aux rapports entre l’accordéon et l’harmonica. Alors, il m’a proposé l’engagement à Londres, qu’il ne pouvait pas honorer. Puis, au bout d’un moment, cela ne l’intéressait plus tellement et on m’a proposé le contrat. Mais ce n’était en aucune façon adapté pour un harmoniciste. Il m’a donc fallu venir et apprendre vraiment les morceaux, c’était assez effrayant, surtout de se tenir devant trois ou quatre mille personnes. Les deux premiers mois, je tremblait vraiment sur ma chaise, mais après un certain temps, on peut faire ça comme on conduit une voiture, avec l’esprit à un million de kilomètres.

PH : j'ai entendu dire que certains types de l'orchestre allaient dans des pubs locaux pour y taper le boeuf le soir.

BP : Oui, nous le faisions un peu. Je veux dire, surtout les premiers temps quand les gens étaient encore enthousiastes. Au bout d'un moment, on voulait juste rentrer à l'hôtel et se reposer... Tout ça, c’est retombé au bout d'un moment. On finit par prendre des habitudes de tournée. Mais, oui, dans les premiers temps quand il y avait encore un peu d'enthousiasme ...

PH : Il devait y avoir de l'ambiance à l'époque. Comment les gens du coin réagissaient-ils ?

BP : Ils adoraient ça ! Je veux dire les pubs, tu vois, les patrons de bars adoraient aussi ! En Australie, par exemple, il fallait que nous fassions attention parce qu'en fait ils se faisaient pas mal d'argent sur notre dos. Ils annonçaient " les musiciens de Riverdance seront ici mardi soir ". Ils se faisaient un tas de fric et la maison de production commençait à trouver à la trouver saumâtre... C’était géant en Australie et en Nouvelle-Zélande. Il y a beaucoup d’immigrants irlandais là-bas. Oui, c’était vraiment sympa.

PH : As-tu des disques qui vont sortir bientôt ? Il y a tellement de projets en cours...

BP : Il y a ce truc bulgare qui est complètement terminé, il ne manque qu’un peu de mastering et la jaquette, mais il faut d’abord qu’on trouve un bon contrat.

J’ai un album de compositions, que j’ai terminé pendant la tournée du spectacle de Riverdance. A chaque endroit où nous passions un peu de temps, je faisais quelques enregistrements. Un tas de bons musiciens jouent dessus. Il est terminé et je le vends sur mon site web sous le titre "Tanks Aloft", mais je pense le changer quand il sortira officiellement en fin d’année. Les gens trouvent le titre trop obscur.

J’ai sorti en mai un album avec un joueur de blues qui s’appelle Dave Peabody. C’est un guitariste-chanteur de blues anglais. Nous avons signé cela chez Indigo Records, qui est un label anglais de blues respecté. Je suis assez content de cela. Il a été fait en seulement deux séances rapides, directement sur DAT. Mais ça rend vraiment bien.

PH : Eh bien, pas mal de choses donc...

BP : Oui, presque trop ! Et c'est seulement les albums : j’ai fini aussi un package pédagogique intitulé "Jouer de la musique irlandaise à l’harmonica diatonique", qui comprend un livre, un Cd, et deux Suzuki Promasters spécialement accordés en option. J’ai déjà pas mal de demandes d’un peu partout pour ça.

Et mon dernier projet, c’est de vendre une série de chromatiques personnalisés pour spécialistes, des instruments qu’on ne trouve pas dans le commerce. Je fabrique maintenant des CX10 avec un accordage Richter - c’est un CX12 coupé, avec des lamelles Hering. Il y a des demies valves et il est vraiment étanche. On fait des aspirés et des altérations aussi facilement qu’avec un diatonique, mais bien sûr on a la tirette en plus. Tous les joueurs d’harmo diatonique qui ont essayé les prototypes en veulent un, alors j’ai pense que cela va aboutir à quelque chose. Je suis aussi en train d’arranger des chromatiques spéciaux pour jouer de la musique celtique. J’aime personnaliser les harmos au moins autant que j’aime en jouer, et c’est un boulot que je peux faire à la maison, et ça c’est bien.

PH : Fais-tu aussi beaucoup de séances d’enregistrement ?

BP : Oui, c’est en quelque sorte mon gagne-pain ici à Londres. C’est assez sympa. Ca va, ça vient. On a beaucoup de boulot et puis ça se calme. Mais quand on bosse, ça paye bien.

PH : Des musiques de film surtout ?

BP : Oui, beaucoup de films américains ont été tournés ici ces derniers temps. J’ai joué sur "Pushing Tin" avec Kevin Kusack, et sur le dernier Jackie Chan, "Shangai Noon". Je pense que c’est parce qu’ici en Grande-Bretagne ils n’ont pas à payer les droits d’interprétation des musiciens, alors qu’en Amérique, à chaque fois qu’une bande sonore est diffusée, les musiciens reçoivent de l’argent en plus. Même chose pour les jingles à la télé...

PH : Je suppose que certains sont plus intéressants que d’autres...

BP : La musique de film a tendance a être intéressante, très intéressante. Souvent, le compositeur a une idée exacte de ce qu’il veut en tête. Je viens de faire une bande originale de film avec ce compositeur français, Gabriel Yared. Il avait une idée très claire de ce qu’il voulait, ça, c’est bien. C’était un vrai perfectionniste sur la quantité de vibrato, combien de temps tenir la note, s’il fallait finir sec ou pas. J’ai vraiment aimé ça, parce qu’un musicien, quand il s’y met, s’inquiète de ces petits détails. Et il voulait que cela soit joué très sec, tu vois. Alors il a fallu que je me débarrasse de beaucoup de l’expression que j’y mets d’habitude, ce qui est une bonne discipline.

Et puis ensuite tu vas ailleurs et on te dit qu’ils veulent juste un peu de blues et ils sont contentent de quasiment tout ce que tu leur joues.

Je préfère les gens plus regardants, dans un sens, parce que cela demande plus d’effort. Un compositeur de musique de film que j’aime bien ici, c’est Anne Dudley, qui a fait la bande originale de "Pushing Tin". Elle a des idées géniales et du métier. J’ai joué sur une nouvelle bande originale qu’elle a composée pour Hollywood pour un film intitulé Monkeybone, ça a l’air bien.

PH : Est-ce que ces gens connaissent les spécificités de l’instrument ou bien ils cherchent juste le son ?

BP : La plupart d’entre eux n’y connaissent rien. C’est là que cela devient pratique de jouer de différents harmonicas avec des clés et des accordage différents. Tu peux leur donner l'ambiance qu’ils veulent, alors que si tu joues juste avec un chromatique en Do, pas moyen d’arriver à donner un bon petit goût irlandais en Fa dièse ou de jouer un delta blues en Mi convainquant. Alors, tu vois, d’un point de vue commercial, ça aide de jouer avec des harmonicas et des accordages différents. Pour donner aux gens ce qu’ils veulent sur le champ.

PH : Parle-nous de cette histoire avec Sting. Comment c’était ?

BP : C’était tout simplement fabuleux. En fait lorsque je suis arrivé ici de Nouvelle-Zélande, j’ai envoyé une vaste quantité de cassettes de démos aux gens. Et je n’ai pas eu de retour. En Nouvelle-Zelande, c’est un petit pays et les gens sont très amicaux. Alors même si quelqu’un n’est pas intéressé par ce que tu as à proposer, en général il t’envoie une lettre disant "Merci, mais ce n’est pas vraiment notre truc. Essayez donc chez Machin au coin de la rue". A Londres, je suppose que c’est comme s’il pleuvait des musiciens du monde entier et les gens sont débordés et on ne peut pas les déranger. Donc, je n’ai pas eu de retour, et cela m’a coûté beaucoup d’argent d’envoyer tout ça. C’était vraiment une mauvaise passe de ne pas avoir de nouvelles.

J’étais de plus en plus découragé, vraiment, je pensais même retourner en Nouvelle-Zélande. Et puis tout à coup, à peu près neuf mois plus tard, je reçois ce coup de téléphone : "Sting veux un joueur d’harmonica chromatique et il aime bien ce qu’il a entendu sur votre démo", ou quelque chose dans ce genre. Voilà, en fait, comment j’ai fait cette séance.

On avait besoin de moi seulement à un moment précis pour jouer sur un des morceaux de l’album. Puis il y a eu un single sur lequel il jouait de l’harmonica, c’était juste un peu de diatonique très moyen que je devais mimer pour "Top of the Pops". Je n’aimais pas trop ça, mais je n’allais pas dire non...

Ca m'a changé pas mal de rythme de vie, c'était mieux que d'être décourage dans une piaule à Londres. J’avais soudain l’impression d’être parmi tous ces gens avec de vastes sommes d’argent... C’était un bonne expérience et c’était bien d’en passer par là. T'as l'impression que tous tes Noëls sont arrivés d’un seul coup ! Mais, en fait, j’étais un artisan dont on avait besoin pour un travail particulier, j’ai fait le boulot et puis je me suis retrouvé à nouveau à la case départ. Mais j’ai beaucoup appris en faisant cela.

PH : Est-ce que cela t’a ouvert des portes ?

BP : Oui, bien sûr. J’étais un héros quand je suis retourné en Nouvelle-Zélande, je peux te le dire... La Nouvelle-Zélande a une sorte de complexe d’infériorité, dans un certain sens, parce que c’est un petit pays loin de tout. Alors si un Kiwi fait quelque chose d’un tant soit peu fameux dans le vaste monde, les gens en font une montagne, ce qui est plutôt commode quand on prépare une tournée : "Oh, c’est VOUS, le type qui..."

PH : Qu’est-ce qui t’a poussé à venir ici tout d’abord ?

BP : Deux raisons : je me suis marié avec une Anglaise en Nouvelle-Zélande. Elle avait voyagé pendant quelques année en Asie du Sud-est, en Australie, en Nouvelle-Zélande, etc. Et voulait retourner près de ses parents. Ça, c’était la première raison. L’autre est musicale. La Nouvelle-Zélande n’a pas de musique indigène. Les Maoris avaient leur propre musique, mais ils ne savent plus vraiment à quoi elle ressemble parce qu’elle a été occultée par les invasions coloniales. Toutes nos influences musicales sont donc américaines ou britanniques ou irlandaises, parfois européennes. Alors, j’ai senti qu’il était temps de partir et de retourner à la source. L’Irlande était un endroit où j’avais vraiment envie d’aller. L’Amérique aussi, mais je n’y suis pas trop allé. J’aimerais y passer un peu plus de temps en tournée. Surtout après l’accueil que nous avons eu, Dean et moi, à Minneapolis.

En fait, j’y suis allé l’an dernier aussi, pour y réaliser un projet intéressant avec Rick Epping. Il travaille pour Hohner, et je le connais depuis des années parce qu’il jouait dans un groupé appelé Pumpkin Head, qui était une sorte de fusion irlandaise, si tu veux, de fusion folk-pop. C’est un joueur de blues, mais il jouait de la musique irlandaise à l’harmonica diatonique depuis les années 70. J’avais entendu quelques uns de ses enregistrements en Nouvelle-Zélande, et j’avais vraiment aimé. Le projet est avec lui et un autre type du nom de Mick Kinsella, qui est un brillant musicien irlandais. Il joue de la musique irlandaise sur un chromatique dans le style de Eddie Clarke, avec la tirette inversée. Il est aussi superbe dans les overblows au diatonique, très créatif, tu vois, une sorte de musicien-né. En ce moment, il est en train de finir un album.

Bref, lui, Rick et moi avons fait une tournée en Irlande en 1997 avec un guitariste, Martin Dunlea. On se faisait appeler les Triple Harp Bypass, mais certains préfèrent le nom de Iron Lung. On s’est tellement amusés, que nous avons pensé que nous devions faire quelques enregistrements. Alors nous sommes tous allés chez Rick pendant quelques semaines et on a enregistré un album sur son matos. C’est une fusion assez intéressante parce qu’on s’intéresse tous à la musique celtique, au blues, un mélange de tout ça. Mais nous en avons tous une approche différente. Nous utilisons des harmonicas différents et nous jouons des parties différentes. C’est un son immense, un très beau son parce qu’on en tire les harmonies et toutes ces choses. Cela nous a vraiment plu et le public a adoré quand nous avons fait les tournées.

PH : Voilà donc un autre album.

BP : Oui, c’est vrai. Nous essayons de l’éditer nous-mêmes d’abord en tirage limité, et nous espérons faire des festivals, etc. plus tard.

PH : Bien, bonne chance avec toutes ces sorties prévues et tiens-nous au courant quand Triple Harp Bypass sera prêt à sortir !

BP : Je n’y manquerai pas !


Cette interview a été réalisée à Londres en Novembre 1999

Grand merci à John Galvin qui l'a transcrite et à Sabine Laguionie qui l'a traduite.