Gabriel Labbé sur Planet Harmonica,
si lon se fie à la ligne qui se dégage des deux premiers numéros, cest un
peu Paul Butterfield à " Tournez manèges "
Quoiquil en soit, cest une bonne occasion dexplorer la
musique traditionnelle québécoise et surtout de découvrir un style dharmonica
inimitable, qui, même si lon en parle peu ici, existe tout de même
Gabriel est un homme au multiples facettes : redécouvreur de
musiciens injustement méconnus, oubliés ou peu diffusés, collectionneur patenté de 78
tours, chercheur, concepteur de CDs sur lhistoire de la musique traditionnelle
québécoise (1900-1980), et enfin, pour ce qui nous intéresse ici, pratiquant du
ruine-babine depuis ses 7 ans (il en a maintenant 62).
Après un long jeu en 1980 dans la série "Masters of French Canadian
music" , une cassette en 1991 et surtout un magnifique "Hommage à Alfred
Montmarquette" en 1995, le plus beau CD du genre, à mon goût, il nous livre ici un
enregistrement solo live. Il est accompagné de Dorothée Hogan au piano, toujours aussi
solide, et de Michel Donato, grande figure de la scène jazz québécoise, à la
contrebasse.
Commençons par les détails qui fâchent : la justesse approximative
des harmonicas Trémolo Hohner, criante sur les valses (on rêve dentendre Gabriel
sur des Tombo 1521 DeLuxe
), le répertoire quelquefois un peu pompier (on rêve de
reels aux mélodies plus amples, que permettent justement de jouer les Tombo, qui ne sont
pas conçus sur le système Richter) et la médiocre qualité de la photo du livret.
Voilà qui est dit.
Passons à ce qui nous réjouit, et cest lessentiel.
On pourrait tout dabord dire que le style Gabriel Labbé a été
forgé par le système Richter : comment jouer les mélodies quand on a pas toutes
les notes, que les overblows et les altérations sont aussi étrangers au diatonique
trémolo que Balladur au monde des Monthy Python ? Eh bien, le bougre, il tourne
autour, remplit tous les vides qui se présentent, change doctave en cours de route,
et nous donne finalement lillusion de la présence de notes qui en fait ny
sont pas
Par ailleurs, la musique québécoise a horreur du vide, et Gabriel
néchappe pas à cette contrainte "traditionnelle" : sur des phrases
mélodiques simples, pour ne pas dire simplissimes, il se livre à une exercice de style
très classique : la musique sur les arpèges, technique directement issue du jeu de
violon et du mélodéon sauce cajun ; plus facile à dire quà faire quand il
sagit dharmonica. On passe de la mélodie minimaliste à la frénésie de
notes ("Le retour dHenri"). Lessentiel nest tout de même pas
là ; il est dans le caractère très dansant de cette musique. Ici, la technicité
disparaît, elle est au service de la finesse et de la légèreté sur des répertoires
qui relèvent pourtant parfois de "La piste aux étoiles", elle est au service
du lyrisme et de la nostalgie que dégagent certaines valses ("La valse des
Feux-Follets"). Gabriel est le seul à jouer ainsi les valses et les reels : il
y a toujours, en arrière-plan une pulsion inimitable, un souffle quon ne retrouve
chez aucun autre harmoniciste.
Pour finir, la complicité qui unit nos trois compères est évidente sur
des titres tels que "Yankee Doodle Dandy", le "Quadrille de
Loretteville" ou le "Reel de la Victoire" ; elle nous fait partager une
musique chaleureuse qui va droit au cur.
Bruno Kowalczyk