Le son amplifié
d'Adam Gussow
Le son acoustique
d'Adam Gussow |
Benoit Felten : Je viens de lire le dernier numéro de Blues
Access dans lequel tu écris une chronique sur le New York blues. Est-ce que tu peux
préciser ce que tu entends par "New York sound," ? Adam Gussow :
Quest-ce que jai écrit dans larticle ? Que cétait quelque
chose comme le son de deux taxis qui à la suite dun choc frontal se retrouvaient
être un seul taxi plus balaise et coloré.
Par modestie jai omis Satan & Adam de la liste mais bien sûr jai le
sentiment que nous faisons partie de ce son blues des années 90. Ca nest peut-être
pas évident à entendre chez Shemika Copeland mais cest très clair chez Michael
Hill and the Blues Mob, les Holmes Brothers, ou Poppa Chubby. Ces trois groupes, comme
Satan & Adam se définissent par le métissage de beaucoup de styles musicaux et pas
seulement le blues. Les Holmes Brothers y intègrent du gospel et même de la country.
Michael Hill ramène tout un truc Afro-centrique où il utilise des courants de toutes les
musiques de la diaspora africainee. Mr. Satan et moi-même nous utilisons
des
mélodies blues, des harmonies jazz, des rythmes funk et un chant soul. Toutes ces
musiques sont des musiques noires, mais nous intégrons aussi un peu de rock là-dedans.
Sur "Living on the River," nous jouons une reprise de "Proud Mary," la
vieille version de Ike et Tina Turner.
La fois où on a joué au Chicago Blues Festival, il y avait un article qui parlait de
notre musique comme dun blues post-moderne. Je ne sais pas si je nous définirais
comme post-modernes, ou alors dans le sens ou nous ne représentons pas un style mais un
multitude dinfluences qui se fondent en un style particulier. Ca nest pas
comme ça que le blues se définissait. Cétait plus une musique folklorique
Enfin, pas exactement folklorique mais bon le blues de Chicago devait sonner comme un
blues de Chicago. Nous, nous pouvons prendre un groove de Chicago Blues, une chanson comme
"Sweet Home Chicago" et y intégrer la mélodie de "Blue Monk."
Cest assez caractéristique de ce quon fait... |
Sweet Home Chicago into
Blue Monk
(Extrait 2)
|
Pouvoir se déplacer dun idiome à lautre, cest sympa
Certains artistes de blues lont toujours fait. Little Walter a étoffé son jeu en
écoutant Louis Jordan. A mon sens, il ny a que comme ça que lon peut rendre
la musique fertile.
Ce qui ma poussé à écrire cet article cétait que Shemekia Copeland
qui est de New York et a été No. 1 sur les panels radio de Living Blues pendant
trois mois daffilée. Elle sera peut-être élue meilleure nouvelle artiste de Blues
aux Handy Awards cette année. En tous cas elle a de bonnes chances. Et depuis quand y
a-til eu un artiste de blues de cette stature originaire de New York ? Donc
javais envoe dêtre un peu partisan
Attention, je ne suis pas en train
de dire que LA na pas la cote. Mais tout le monde connaît le West Coast blues, tout
le monde connaît Austin, Texas, ou Chicago, et je suis sûr quil y a dautres
endroits qui sont des centres du blues. Mais les gens ne pensent pas que New York en soit
un. Ce que je voulais dire cétait quil y a des talents exceptionnels ici à
New York : des mecs comme Larry Johnson, avec qui jouait Nat Riddles un guitariste
extraordinaire, très carré à la Gary Davis ou Bill Perry, des types qui sont non
seulement des super musiciens mais aussi qui innovent
BF : Comment va Mr Satan ?
AG : Il a eu une légère attaque en Avril 98. Le dernier concert
quon ait fait était le 3 Avril 98. Il a eu cette petite attaque et quand je lui ai
rendu visite en Mai il avait lair vraiment crevé. Je lui ai proposé dannuler
tous les concerts quon avait dalignés pour lété. On était prévus à
Notodden en Norvège et à trois ou quatre autres gros festivals. Il a accepté et
jai annulé. On a pas joué depuis. Ca fait 11 mois.
Je ne lui ai pas parlé depuis Septembre. On devait faire notre concert de
rentrée début Octobre et se femme a annulé deux jours avant. Je nai pas pu lui
parler. Jétais assez énervé de ne même pas pouvoir ne parler directement avec
lui
Il était un peu parti dans son truc
Je ne sais pas très bien où il est,
ni physiquement ni mentalement. Apparemment il va bien, mais bon cest pas très
clair
Il habite à 40 miles au sud de Lynchburg en Virginie. Tiens dailleurs je vais
révéler à tes lecteurs où il est exactement : si il y en a qui veulent faire un
pèlerinage blues, quils aillent à Volens en Virginie. Là-bas il y a un petit
croisement, sans doute à lapparence similaire au crossroad de Robert Johnson.
Là-bas vous trouverez Mister Satan, Miss Macie et leur voiture ; en tous cas
cest ce quon ma dit. Si vous faites ce pèlerinage et que vous le
rencontrez dites lui que vous espérez quil reprenne du poil de la bête et
quil reparte sur les routes. Tout ce quil a à faire cest de
mappeler et de me dire Je remonte à New York, est-ce quon peut
jouer ? Et moi je lui dirais " Evidemment ! "
BF : Donc tu joues avec dautres gens, dautres
groupes ?
AG : Je joue souvent avec un type qui sappelle Jerry Dugger, un
guitariste de New York. Mais je suis aussi étudiant en thèse à Princeton donc je dois
sortir les épaules et bosser. Je veux avoir mon Ph.D. et obtenir un poste de professeur
de Littérature Américaine. Je viens de donner un cours sur Zora Neale Hurston et le
blues dans le roman "Their Eyes Were Watching God," (Leurs Yeux Regardaient
Dieu), son roman le plus célèbre. Jai utilisé une chanson de Memphis Minnie qui
sappelle "Bumble Bee" (Cest son blues le plus connu "You stung
me this morning, I been restless all day long." (Tu mas piqué ce matin,
jai été agitée toute la journée) comme une clef de lecture de ce roman.
BF : Le seul roman que jai lu dans lequel le blues avait une
certaine importance cétait le bouquin de Walter Mosley
AG : Ouais, "RLs Dream." Cest un des meilleurs.
BF : Il y en a dautres ? |
Lectures
Blues
Recommendées
par Adam
(En cliquant sur les liens, achetez les directement chez Amazon)
1. "Another Good
Loving Blues" de Arthur Flowers
2. "Blues All
Around Me : The Autobiography of B.B. King" de B. B. King et David Ritz
3. "Corregidora"
de Gayl Jones
4. "Dirty Bird
Blues" de Clarence Major
5. "I Say Me for
a Parable: The Oral Autobiography of Mance Lipscomb, Texas Bluesman" de
Mance Lipscomb
6. "Ma Rainey's
Black Bottom," "Seven Guitars,"
et autres pièces de August Wilson
7. "Really the
Blues" de Mezz Mezzrow
8. "RLs
Dream" de Walter Mosley
9. "Their Eyes
Were Watching God" de Zora Neale Hurston
10. "The World
Don't Owe Me Nothing: The Life and Times of Delta Bluesman" de Honeyboy
Edwards
11. "Trouble in
Mind: Black Southerners in the Age of Jim Crow" de Leon F. Litwack.
12. "Worse than
Slavery: Parchman Farm and the Ordeal of Jim Crow Justice" de David Oshinsky
13. "Your Blues
Aint Like Mine" de Bebe Moore Campbell |
AG : Bien sûr ! Jencourage les gens à aller sur Amazon.com
et sen procurer quelques uns. Il y en a un à propos dun joueur
dharmonica blues qui sappelle "Dirty Bird Blues," de Clarence Major.
Il y a un superbe roman qui sappelle "Another Good Loving Blues" de Arthur
Flowers. Bien sûr les pièces de théâtre de August Wilson, comme "Ma Raineys
Black Bottom" et "Seven Guitars." Ensuite il faut lire "W.C. Handy:
Father of the Blues" et Mezz Mezzrow : "Really the Blues." Il y a
"Corregidora" de Gayl Jones. Tous ces livres sont des romans blues
dans lesquels les musiciens sont des protagonistes importants. En ce moment je lis
"Your Blues Aint Like Mine" de Bebe Moore Campbell, qui est un autre bon
bouquin. Donc oui, il y en a dautres !Et puis bien sûr il y a le Honeyboy
Edwards "The World Dont Owe Me Nothing." Il y a le Mance Lipscomb.
Et bien sûr le B.B. King "Blues All Around Me."
Ces bouquins sont essentiellement centrés sur des hommes, mais le Bebe Moore Campbell
parle des femmes.
Et bien sûr si vous voulez savoir ce que cétait de vivre dans le Mississippi
pendant lépoque où le blues était en train de naître, il faut lire "Worse
than Slavery: Parchman Farm and the Ordeal of Jim Crow Justice," de David Oshinsky.
Cest sur le système de justice dans le Mississippi. Il y a aussi dans le même
genre "Trouble in mind: Black Southerners in the Age of Jim Crow" de Leon
Litwack.
Tu sais, je crois que les gens qui aiment le blues devraient apprendre doù il
vient. Pas seulement musicalement mais aussi historiquement.
BF : Jai eu le sentiment en lisant ton livre que tu était un
peu mal à laise vis à vis du débat blues blanc/ blues noir.
AG : Je ne suis pas sûr de voir ce que tu veux dire par débat blues
blanc/ blues noir.
BF : Cet argument selon lequel un blanc ne peut pas jouer du blues par
exemple.
AG : Ah, ça ! Bien sûr quil le peut. Le problème
cest que de nombreux blancs ne jouent pas correctement, ou nont pas la bonne
attitude à légard de la musique. Jai toujours eu du mal vis à vis des
joueurs blancs qui tournent lidiome en ridicule dune certaine manière.
Javais vraiment un problème que jai plus ou moins résolu avec
Rick Estrin et Rod Piazza. Ce sont tous les deux des collègues qui jouent excellemment de
lharmonica. Je nai rien à dire sur leur jeu. Mais ce qui me dérangeait à
une époque cétait la manière dont Estrin tournait en dérision cette musique.
Quant à Piazza, il avait une attitude qui ressemblait à ce que les noirs appelaient
"jive." (fausse) Le blues cest quelquun qui exprime une certaine
vérité émotionnelle, et je navais pas le sentiment que cétait ce
quil faisait.
Maintenant, pour être franc, jai lu les critiques de leurs derniers albums, et
je vais certainement les acheter. Tu peux lécrire. Parce que dans les deux cas, la
manière dont cétait critiqué, on sentait que ces mecs étaient plus sérieux, que
ça venait plus du cur. Je ne pense pas que ça ait grand chose à voir avec les
commentaires que jai pu faire publiquement. Il se peut que ça les aie vraiment
énervé, ce que jai dit, et honnêtement, ils auraient eu raison dêtre en
colère. Je sais en tout cas que Estrin en avait gros sur la patate puisquil est
venu me voir à un festival et quon a eu une discussion les yeux dans les yeux.
(Rires) Il était vraiment gêné par ce que javais pu écrire, et je ne peux pas
lui en vouloir.
Je pense que je massagis un peu ; jétais assez bouillant à cette
époque là. Je nétais vraiment pas à laise vis à vis de la mentalité
quasi-religieuse qui imprègne la scène blues. La musique ne vit que si elle se
renouvelle, et je sais que jai raison en disant cela.
La première génération de jeunes harmonicistes blancs dont Estrin et Piazza
font partie vénéraient totalement les vieux musiciens noirs avec lesquels ils
jouaient. Cétait incontournable. Mais souvent ils ne parvenaient pas à regarder au
delà de leur pères spirituels. Cest très dur de regarder au-delà de George
"Harmonica" Smith parce quil est tout bonnement le meilleur. Mais à un
certain point, il faut tuer le père, métaphoriquement. Si cest un père noir,
quil est omniprésent et quon laime, cest vachement dur. Mais il
faut presque se forcer à dire "George Harmonica Smith est bon, mais son
truc est démodé. Moi je vais faire quelque chose de nouveau, le blues de demain.
Cest cette attitude que jessaye de faire comprendre aux gens. Ne pas se
contenter de recycler, ne pas caricaturer. Ne pas sarrêter à des variations de
lidiome, mais essayer de le renouveler.
Je crois quaujourdhui cette prise de conscience se fait chez les musicians
de blues. Et comme je lai dit tout à lheure, je vais aller acheter les
derniers albums de Piazza et de Little Charlie and the Nightcats, parce quil semble
que jaie besoin de réecouter ce quils font aujourdhui. Peut-être se
sont-ils libérés, peut-être quils vont de lavant maintenant
BF : A côté de cela, est-ce que tu écoutes des harmonicistes
non-blues ?
AG : Jécoute beaucoup de musique autre que du blues.
Jécoute surtout du jazz sur ma radio locale de jazz WBGO. Souvent je ne connais pas
le nom de ce que jécoute, je tourne juste le bouton de la radio comme ça [Adam
allume son poste. Le DJ annonce le show de blues de la station de radio] Ca cest
typique
Juste quand je veux te faire écouter du jazz ils passent du
blues !(Rires
)
BF : A ton sens que sera la scène blues et harmo dans 10 ans ?
AG : En ce qui concerne le blues pur et dur, dans dix ans des mecs
comme moi qui aujourdhui sont perçus comme innovants parce quils utilisent
les overblows seront vus plus comme des traditionalistes. Et des gars comme Carlos Del
Junco, qui apportent tant à lidiome seront sans doute encore des innovateurs.
BF : OK, mais ce quil rajoute léloigne aussi du
blues, non ?
AG : Cest vrai
BF : Ce que je veux dire cest que quel que soit
linstrument (la guitare est un bon exemple) ceux qui sont à la pointe de
linnovation apportent beaucoup, mais séloignent quand même pas mal de ce qui
fait que le blues est du blues
AG : Je crois que tu as raison. Il faut séparer lidée de
pousser lharmonica blues en avant et de pousser lharmonica en général en
avant. Je ne sais pas ce que Carlos apporte au répertoire blues. Ce que je sais en tous
cas cest que jadore ce quil fait !
BF : Jaime vraiment mieux le second album de Del Junco. Le
premier est très blues mais il ny a pas beaucoup de variété dans le choix des
morceaux, même si cest super bien joué. Mais le second est vachement intéressant
parce quil aborde un peu tous les styles. Il y a une sorte de morceau un peu ska qui
est vraiment génial
Il ny a pas grand monde qui avait essayé de faire sonner
de lharmo sur ce genre de rythmiques
Cest sympa.
AG : Il joue aussi ce truc excellent quand il monte en chromatismes.
Tu sais, je ne peux pas aller plus loin que ça ! (Rires
) |