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Interview d'Adam Gussow

 

Les extraits sonores sont au format mp3. Si vous n'avez pas de lecteur mp3 vous pourrez en trouver un gratuitement en cliquant sur l'icône ci-dessous :

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Adam GussowLors d'un voyage à New York en Mars dernier j'ai eu la chance de pouvoir rencontrer Adam Gussow, harmoniciste de blues de la Grande Pomme qui joue un blues très à lui, à la fois léger et puissant. Il m'a accueilli chez lui dans le nord de Manhattan, entre sa collection de bouquins et sa collection d'amplis. Une discussion trop courte mais passionante avec un érudit du blues.

Amplified Gussow

Le son amplifié
d'Adam Gussow


Acoustic Gussow

Le son acoustique
d'Adam Gussow

Benoit Felten : Je viens de lire le dernier numéro de Blues Access dans lequel tu écris une chronique sur le New York blues. Est-ce que tu peux préciser ce que tu entends par "New York sound," ?

Adam Gussow : Qu’est-ce que j’ai écrit dans l’article ? Que c’était quelque chose comme le son de deux taxis qui à la suite d’un choc frontal se retrouvaient être un seul taxi plus balaise et coloré.

Par modestie j’ai omis Satan & Adam de la liste mais bien sûr j’ai le sentiment que nous faisons partie de ce son blues des années 90. Ca n’est peut-être pas évident à entendre chez Shemika Copeland mais c’est très clair chez Michael Hill and the Blues Mob, les Holmes Brothers, ou Poppa Chubby. Ces trois groupes, comme Satan & Adam se définissent par le métissage de beaucoup de styles musicaux et pas seulement le blues. Les Holmes Brothers y intègrent du gospel et même de la country. Michael Hill ramène tout un truc Afro-centrique où il utilise des courants de toutes les musiques de la diaspora africainee. Mr. Satan et moi-même nous utilisons… des mélodies blues, des harmonies jazz, des rythmes funk et un chant soul. Toutes ces musiques sont des musiques noires, mais nous intégrons aussi un peu de rock là-dedans. Sur "Living on the River," nous jouons une reprise de "Proud Mary," la vieille version de Ike et Tina Turner.

La fois où on a joué au Chicago Blues Festival, il y avait un article qui parlait de notre musique comme d’un blues post-moderne. Je ne sais pas si je nous définirais comme post-modernes, ou alors dans le sens ou nous ne représentons pas un style mais un multitude d’influences qui se fondent en un style particulier. Ca n’est pas comme ça que le blues se définissait. C’était plus une musique folklorique… Enfin, pas exactement folklorique mais bon le blues de Chicago devait sonner comme un blues de Chicago. Nous, nous pouvons prendre un groove de Chicago Blues, une chanson comme "Sweet Home Chicago" et y intégrer la mélodie de "Blue Monk." C’est assez caractéristique de ce qu’on fait...

Sweet Home to Blue Monk

Sweet Home Chicago into
Blue Monk
(Extrait 2)



Pouvoir se déplacer d’un idiome à l’autre, c’est sympa… Certains artistes de blues l’ont toujours fait. Little Walter a étoffé son jeu en écoutant Louis Jordan. A mon sens, il n’y a que comme ça que l’on peut rendre la musique fertile.
Ce qui m’a poussé à écrire cet article c’était que Shemekia Copeland qui est de New York et a été No. 1 sur les panels radio de Living Blues pendant trois mois d’affilée. Elle sera peut-être élue meilleure nouvelle artiste de Blues aux Handy Awards cette année. En tous cas elle a de bonnes chances. Et depuis quand y a-t’il eu un artiste de blues de cette stature originaire de New York ? Donc j’avais envoe d’être un peu partisan…

Attention, je ne suis pas en train de dire que LA n’a pas la cote. Mais tout le monde connaît le West Coast blues, tout le monde connaît Austin, Texas, ou Chicago, et je suis sûr qu’il y a d’autres endroits qui sont des centres du blues. Mais les gens ne pensent pas que New York en soit un. Ce que je voulais dire c’était qu’il y a des talents exceptionnels ici à New York : des mecs comme Larry Johnson, avec qui jouait Nat Riddles un guitariste extraordinaire, très carré à la Gary Davis ou Bill Perry, des types qui sont non seulement des super musiciens mais aussi qui innovent…

BF : Comment va Mr Satan ?

AG : Il a eu une légère attaque en Avril 98. Le dernier concert qu’on ait fait était le 3 Avril 98. Il a eu cette petite attaque et quand je lui ai rendu visite en Mai il avait l’air vraiment crevé. Je lui ai proposé d’annuler tous les concerts qu’on avait d’alignés pour l’été. On était prévus à Notodden en Norvège et à trois ou quatre autres gros festivals. Il a accepté et j’ai annulé. On a pas joué depuis. Ca fait 11 mois.
Je ne lui ai pas parlé depuis Septembre. On devait faire notre concert de rentrée début Octobre et se femme a annulé deux jours avant. Je n’ai pas pu lui parler. J’étais assez énervé de ne même pas pouvoir ne parler directement avec lui… Il était un peu parti dans son truc… Je ne sais pas très bien où il est, ni physiquement ni mentalement. Apparemment il va bien, mais bon c’est pas très clair…

Il habite à 40 miles au sud de Lynchburg en Virginie. Tiens d’ailleurs je vais révéler à tes lecteurs où il est exactement : si il y en a qui veulent faire un pèlerinage blues, qu’ils aillent à Volens en Virginie. Là-bas il y a un petit croisement, sans doute à l’apparence similaire au crossroad de Robert Johnson. Là-bas vous trouverez Mister Satan, Miss Macie et leur voiture ; en tous cas c’est ce qu’on m’a dit. Si vous faites ce pèlerinage et que vous le rencontrez dites lui que vous espérez qu’il reprenne du poil de la bête et qu’il reparte sur les routes. Tout ce qu’il a à faire c’est de m’appeler et de me dire ‘Je remonte à New York, est-ce qu’on peut jouer ?’ Et moi je lui dirais " Evidemment ! "

BF : Donc tu joues avec d’autres gens, d’autres groupes ?

AG : Je joue souvent avec un type qui s’appelle Jerry Dugger, un guitariste de New York. Mais je suis aussi étudiant en thèse à Princeton donc je dois sortir les épaules et bosser. Je veux avoir mon Ph.D. et obtenir un poste de professeur de Littérature Américaine. Je viens de donner un cours sur Zora Neale Hurston et le blues dans le roman "Their Eyes Were Watching God," (Leurs Yeux Regardaient Dieu), son roman le plus célèbre. J’ai utilisé une chanson de Memphis Minnie qui s’appelle "Bumble Bee" (C’est son blues le plus connu "You stung me this morning, I been restless all day long." (Tu m’as piqué ce matin, j’ai été agitée toute la journée) comme une clef de lecture de ce roman.

BF : Le seul roman que j’ai lu dans lequel le blues avait une certaine importance c’était le bouquin de Walter Mosley…

AG : Ouais, "RL’s Dream." C’est un des meilleurs.

BF : Il y en a d’autres ?

Lectures
Blues
Recommendées
par Adam
(En cliquant sur les liens, achetez les directement chez Amazon)

1. "Another Good Loving Blues" de Arthur Flowers

2. "Blues All Around Me : The Autobiography of B.B. King" de B. B. King et David Ritz

3. "Corregidora" de Gayl Jones

4. "Dirty Bird Blues" de Clarence Major

5. "I Say Me for a Parable: The Oral Autobiography of Mance Lipscomb, Texas Bluesman" de Mance Lipscomb

6. "Ma Rainey's Black Bottom," "Seven Guitars," et autres pièces de  August Wilson

7. "Really the Blues" de Mezz Mezzrow

8. "RL’s Dream" de Walter Mosley

9. "Their Eyes Were Watching God" de Zora Neale Hurston

10. "The World Don't Owe Me Nothing: The Life and Times of Delta Bluesman" de Honeyboy Edwards

11. "Trouble in Mind: Black Southerners in the Age of Jim Crow" de Leon F. Litwack.

12. "Worse than Slavery: Parchman Farm and the Ordeal of Jim Crow Justice" de David Oshinsky

13. "Your Blues Ain’t Like Mine" de Bebe Moore Campbell


AG :
Bien sûr ! J’encourage les gens à aller sur Amazon.com et s’en procurer quelques uns. Il y en a un à propos d’un joueur d’harmonica blues qui s’appelle "Dirty Bird Blues," de Clarence Major. Il y a un superbe roman qui s’appelle "Another Good Loving Blues" de Arthur Flowers. Bien sûr les pièces de théâtre de August Wilson, comme "Ma Rainey’s Black Bottom" et "Seven Guitars." Ensuite il faut lire "W.C. Handy: Father of the Blues" et Mezz Mezzrow : "Really the Blues." Il y a "Corregidora" de Gayl Jones. Tous ces livres sont des romans ‘blues’ dans lesquels les musiciens sont des protagonistes importants. En ce moment je lis "Your Blues Ain’t Like Mine" de Bebe Moore Campbell, qui est un autre bon bouquin. Donc oui, il y en a d’autres !

Et puis bien sûr il y a le Honeyboy Edwards’ "The World Don’t Owe Me Nothing." Il y a le Mance Lipscomb. Et bien sûr le B.B. King "Blues All Around Me."

Ces bouquins sont essentiellement centrés sur des hommes, mais le Bebe Moore Campbell parle des femmes.

Et bien sûr si vous voulez savoir ce que c’était de vivre dans le Mississippi pendant l’époque où le blues était en train de naître, il faut lire "Worse than Slavery: Parchman Farm and the Ordeal of Jim Crow Justice," de David Oshinsky. C’est sur le système de justice dans le Mississippi. Il y a aussi dans le même genre "Trouble in mind: Black Southerners in the Age of Jim Crow" de Leon Litwack.

Tu sais, je crois que les gens qui aiment le blues devraient apprendre d’où il vient. Pas seulement musicalement mais aussi historiquement.

BF : J’ai eu le sentiment en lisant ton livre que tu était un peu mal à l’aise vis à vis du débat blues blanc/ blues noir.

AG : Je ne suis pas sûr de voir ce que tu veux dire par débat blues blanc/ blues noir.

BF : Cet argument selon lequel un blanc ne peut pas jouer du blues par exemple.

AG : Ah, ça ! Bien sûr qu’il le peut. Le problème c’est que de nombreux blancs ne jouent pas correctement, ou n’ont pas la bonne attitude à l’égard de la musique. J’ai toujours eu du mal vis à vis des joueurs blancs qui tournent l’idiome en ridicule d’une certaine manière. J’avais vraiment un problème – que j’ai plus ou moins résolu – avec Rick Estrin et Rod Piazza. Ce sont tous les deux des collègues qui jouent excellemment de l’harmonica. Je n’ai rien à dire sur leur jeu. Mais ce qui me dérangeait à une époque c’était la manière dont Estrin tournait en dérision cette musique. Quant à Piazza, il avait une attitude qui ressemblait à ce que les noirs appelaient "jive." (fausse) Le blues c’est quelqu’un qui exprime une certaine vérité émotionnelle, et je n’avais pas le sentiment que c’était ce qu’il faisait.

Maintenant, pour être franc, j’ai lu les critiques de leurs derniers albums, et je vais certainement les acheter. Tu peux l’écrire. Parce que dans les deux cas, la manière dont c’était critiqué, on sentait que ces mecs étaient plus sérieux, que ça venait plus du cœur. Je ne pense pas que ça ait grand chose à voir avec les commentaires que j’ai pu faire publiquement. Il se peut que ça les aie vraiment énervé, ce que j’ai dit, et honnêtement, ils auraient eu raison d’être en colère. Je sais en tout cas que Estrin en avait gros sur la patate puisqu’il est venu me voir à un festival et qu’on a eu une discussion les yeux dans les yeux. (Rires) Il était vraiment gêné par ce que j’avais pu écrire, et je ne peux pas lui en vouloir.

Je pense que je m’assagis un peu ; j’étais assez bouillant à cette époque là. Je n’étais vraiment pas à l’aise vis à vis de la mentalité quasi-religieuse qui imprègne la scène blues. La musique ne vit que si elle se renouvelle, et je sais que j’ai raison en disant cela.

La première génération de jeunes harmonicistes blancs – dont Estrin et Piazza font partie – vénéraient totalement les vieux musiciens noirs avec lesquels ils jouaient. C’était incontournable. Mais souvent ils ne parvenaient pas à regarder au delà de leur pères spirituels. C’est très dur de regarder au-delà de George "Harmonica" Smith parce qu’il est tout bonnement le meilleur. Mais à un certain point, il faut tuer le père, métaphoriquement. Si c’est un père noir, qu’il est omniprésent et qu’on l’aime, c’est vachement dur. Mais il faut presque se forcer à dire "George ‘Harmonica’ Smith est bon, mais son truc est démodé. Moi je vais faire quelque chose de nouveau, le blues de demain. C’est cette attitude que j’essaye de faire comprendre aux gens. Ne pas se contenter de recycler, ne pas caricaturer. Ne pas s’arrêter à des variations de l’idiome, mais essayer de le renouveler.

Je crois qu’aujourd’hui cette prise de conscience se fait chez les musicians de blues. Et comme je l’ai dit tout à l’heure, je vais aller acheter les derniers albums de Piazza et de Little Charlie and the Nightcats, parce qu’il semble que j’aie besoin de réecouter ce qu’ils font aujourd’hui. Peut-être se sont-ils libérés, peut-être qu’ils vont de l’avant maintenant…

BF : A côté de cela, est-ce que tu écoutes des harmonicistes non-blues ?

AG : J’écoute beaucoup de musique autre que du blues. J’écoute surtout du jazz sur ma radio locale de jazz WBGO. Souvent je ne connais pas le nom de ce que j’écoute, je tourne juste le bouton de la radio comme ça [Adam allume son poste. Le DJ annonce le show de blues de la station de radio] Ca c’est typique… Juste quand je veux te faire écouter du jazz ils passent du blues !(Rires…)

BF : A ton sens que sera la scène blues et harmo dans 10 ans ?

AG : En ce qui concerne le blues pur et dur, dans dix ans des mecs comme moi qui aujourd’hui sont perçus comme innovants parce qu’ils utilisent les overblows seront vus plus comme des traditionalistes. Et des gars comme Carlos Del Junco, qui apportent tant à l’idiome seront sans doute encore des innovateurs.

BF : OK, mais ce qu’il rajoute l’éloigne aussi du blues, non ?

AG : C’est vrai…

BF : Ce que je veux dire c’est que quel que soit l’instrument (la guitare est un bon exemple) ceux qui sont à la pointe de l’innovation apportent beaucoup, mais s’éloignent quand même pas mal de ce qui fait que le blues est du blues…

AG : Je crois que tu as raison. Il faut séparer l’idée de pousser l’harmonica blues en avant et de pousser l’harmonica en général en avant. Je ne sais pas ce que Carlos apporte au répertoire blues. Ce que je sais en tous cas c’est que j’adore ce qu’il fait !

BF : J’aime vraiment mieux le second album de Del Junco. Le premier est très blues mais il n’y a pas beaucoup de variété dans le choix des morceaux, même si c’est super bien joué. Mais le second est vachement intéressant parce qu’il aborde un peu tous les styles. Il y a une sorte de morceau un peu ska qui est vraiment génial… Il n’y a pas grand monde qui avait essayé de faire sonner de l’harmo sur ce genre de rythmiques… C’est sympa.

AG : Il joue aussi ce truc excellent quand il monte en chromatismes. Tu sais, je ne peux pas aller plus loin que ça ! (Rires…)

Goodbye

Goodbye

BF: Tu trouves pas que c’est de la frime ?

AG: Complètement, mais c’est aussi un sacré spectacle ! ! !

BF : Adam, je crois qu’on a plus beaucoup de temps, merci de m’avoir accueilli, j’espère qu’on se reverra bientôt.

AG : A bientôt !


Cette interview a été réalisée début Mars 98 à New York.

Je tiens à remercier Mark Nessmith pour son aide précieuse dans la retranscription de l'interview dans sa version Anglaise..