Mark : Comment as-tu commencé l'harmonica ?
Bill : Oh, j'aimais le son de l'harmonica et c'était
bon marché. Je travaillais dans un magasin de disques, qui s'appelait
"Rock and Roll Heaven" (le paradis du rock and roll), et j'y
récupérais de vieux single de blues et je suis tombé amoureux
du son de l'harmonica. En fait, je jouais déjà de la guitare,
mais il y avait un tas d'autres guitaristes dans le coin. Alors,
l'harmonica faisait ma différence. Le premier disque de Paul
Butterfield a été assez décisif pour moi, ainsi que les disques
de Bo Diddley, avec, je crois, Billy Boy Arnold qui déchirait
dans l'arrière-plan.
Mark : Quand t'es-tu intéressé au jazz ?
Bill : Lorsque je suis passé au chromatique. Je voulais
jouer de façon modale, avec des gammes bizarre et de drôles
de sons. Lorsque j'ai commencé, ça me semblait assez exotique,
ça avait un son un peu comme du flamenco espagnol. J'ai commencé
à rassembler des disques de jazz de chez Blue Note et Riverside
en Floride après avoir quitté la Navy. C'est ce qui m'a donné
envie pour la première fois de jouer du jazz. Avec un de mes
amis, Frank San Filippo, nous avons commencé à jouer en duo
jazz, nous avions un répertoire assez large de choses plutôt
simples à jouer. Tous les trucs dont j'arrivais à attraper la
mélodie, on se mettait à les jouer et à improviser sur la grille...
Mark : Est-ce que tu jouais encore à l'oreille à ce
moment là ?
Bill : Je me suis mis à jouer du chromatique exactement
en même temps que j'apprenais à lire la musique. C'est Frank
qui m'a poussé à le faire, il avait treize ans à cette époque.
Un enfant prodige. Je déteste ces gens là (rires). Il donnait
des cours de guitare dans le magasin où j'enseignais l'harmonica.
Mark : Quand as-tu commencé ta carrière professionnelle
?
Bill : Ça dépend de ce que tu entends par là. J'ai commencé
à donner des concerts avant d'entrer dans la Navy en 1979, mais
je n'ai pas joué régulièrement avec des groupes avant de m'installer
en Californie en 1984.
Mark : Donc cela fait à peu près 16 ans que tu joues
à plein temps ?
Bill : Eh bien, ce n'est pas complètement vrai, parce
qu'il y a environ 5 ans, je suis retourné à l'école, j'ai obtenu
mon diplôme de manipulateur radio et maintenant je travaille
la journée comme manipulateur radio. Lorsque j'ai commencé,
je travaillais dans l'année probablement deux fois plus en radiologie
que comme musicien (rires). Mais maintenant je fais plus de
musique, parce plus on travaille dans la musique, plus on fait
de rencontres et plus on fait de concerts. Je travaille toujours
autant, je prends sur mon temps de sommeil. Mon grand défi maintenant
est mon bébé, Rose. Je veux lui consacrer du temps, alors c'est
plus difficile de trouver du temps pour répéter et m'entraîner.
Mark : Est-ce que tu répètes de façon spécifique ?
Bill : Ça dépend de ce que j'essaie de faire. Ça a évolué
au fil du temps. Je me fixe des objectifs et je travaille sur
des choses diverses. L'an dernier, mes objectifs - non atteints
- étaient de venir à bout d'un gros livre sur les accords harmoniques
et de jouer en quartes, je n'ai jamais vraiment trouvé le moyen
d'y parvenir à l'harmonica. Pendant quelques temps, j'y travaillais
quelques heures par jour et ça avait fini d'une façon ou d'une
autre à s'insinuer dans mon jeu, mais l'effort était assez vain.
Un de mes amis, un grand bassiste, dit "C'est le geste qui compte"
et je lui réponds : "L'harmonica n'est pas un instrument fait
pour gesticuler : quand il faut actionner la tirette en même
temps que l'on change de direction du souffle à chaque note,
c'est coton..." Il m'arrive aussi de prende des solos transcrits
et de les travailler. J'essaie de ne pas toujours faire les
mêmes, mais je retourne toujours aux oeuvres complètes de Charlie
Parker, et j'essaie de les lire en restant près du tempo, si
j'y arrive, pour améliorer ma lecture. Juste quand je pense
que c'est assez bon, ça régresse. Et puis tu vas à une répétition
où les gens sont vraiment de fabuleux lecteurs, et tu as l'impression
que tu ne devrais pas sortir de chez toi sans casque ! (rires)
Mark : Au vu de la doc biographique, les autres membres
du Bill Barrett Quintet/Quartet sont de sacrés musiciens.
Bill : Oh, oui. Ils jouent dans de nombreux autres groupes
très différents. Le but ces dernières années était de jouer
plus de free jazz, ce qui, à première vue, semble facile, mais
y imposer ses propres restrictions demande beaucoup de connaissances,
sinon, ça sonne pipeau, surtout quand on joue avec des gens
capables d'écouter ce que vous jouer et de vous le ressortir
harmonisé... J'essaie d'en écouter de plus en plus et de trouver
différents concepts sur l'approche qu'en ont les gens. Ce travail
sur les accords était une façon de sortir un peu de l'harmonie,
de jouer en dehors en utilisant les gammes pentatoniques et
des trucs d'ant-garde de la fin des années 60 et du début des
années 70, comme le Miles Davis Quintet et les choses de ce
genre.
Mark : Peux-tu nous dire quelques mots sur le fait de jouer
"non conventionnel", le jeu "out" et si tu as un approche générale
de l'improvisation ?
Bill : J'essaie de m'adapter à toutes les situations.
Par exemple, si j'ai un concert, comme c'est le cas demain avec
le Brazilian Jazz Quartet, beaucoup de ces airs brésiliens ont
des changement d'accords très bizarres, leurs harmonies sont
irrégulières. Les guitaristes du groupe sont des musiciens de
haut vol qui m'apportent des tas de choses, mais j'essaie de
penser à ne "pas trop jouer", à bien négocier les changements
et à jouer mélodieusement afin de compléter le chanteur. Quand
j'ai un concert avec Beutet, qui est une formation de jazz électrique
très "out", les choses qui peuvent me tracasser sont quelle
sorte d'ampli emporter pour avoir le son que je veux, puis de
m'adapter aux morceaux. Par exemple, certaines chansons ont
une structure dans laquelle la ligne de basse est une improvisation
logique. Alors, je regarde les notes et je vois que c'est plutôt
une gamme réduite, ou une gamme de La 7 sur une gamme de Sol
7. Alors s'il y a une approche mélodique possible, dans ce cas
là, ce sera une gamme lydienne dominante. Donc je vais la mettre
de côté, mais puisqu'il s'agit de free jazz, le plus important
serait de simplement ouvrir mes oreilles parce que le morceau
peut changer de clé sans prévenir ou alors on peut cesser de
jouer tous ensemble. Essayer d'écouter le batteur et jouer de
façon thématique ou jouer les rythmes mélodiques du thème pour
avoir ainsi quelques références du morceau de base afin de ne
pas faire un solo - ce que je suis en traine de faire dans cette
interview (rires). Cependant, si je joue avec "Brother Weasel",
la plupart du temps c'est plutôt un blues band, un genre de
blues band bizarre qui joue des morceaux de jazz, alors nous
faisons quelques changements, mais je suis plus libre de boire
quelques bières et de jouer un peu de blues. Je fais attention
d'avoir un bon son blues et je fais corps avec la section des
cuivres parce que je dois jouer certaines parties avec le trompettiste
et le saxophone. Donc toute mon approche de l'improvisation
dépend du groupe.
Mark : Comment as-tu acquis tes connaissances du langage
jazz ?
Bill : A travers des livres, des leçons informelles,
sur scène et aux répétitions. Beaucoup tout seul. Par exemple,
en parcourant des transcriptions de solos et en choisissant
des morceaux qui me plaisent et en les transposant ensuite dans
chacune des 12 clés. Il faut ensuite les jouer encore et encore,
jusqu'à ce qu'elles se fondent. C'est une des manières qui m'ont
permis d'apprendre. Et puis il y a plein de livres sur le jazz,
les livres de by Jerry Coker et David Baker, disponibles sur
le catalogue Jamey Aebersold. Et puis j'ai aussi pris des leçons
pendant un été avec Frank Potenza, un grand guitariste élève
de Joe Pass. Beaucoup de gens avec qui j'ai joué m'ont appris
des choses. En fait, j'essaye intentionnellement d'engager des
gens meilleurs que moi ou de jouer dans des groupes avec des
gens qui peuvent m'apporter des choses afin de progresser. Et
une fois qu'on est suffisament effrayé parce qu'il faut le faire
en direct, alors on se met au travail. Alors ce que j'ai probablement
fait est d'essayer de voir ce qu'il manque à mon jeu et de trouver
la meilleure façon de l'obtenir. Il faut beaucoup écouter, écouetr
des disques. C'est difficile de saisir le vocabulaire du jazz
sans avoir du jazz plein la tête. Mais il n'y a pas de véritable
école. J'ai pris quelques cours d'improvisation jazz en cours
du soir, mais cela ne m'a pas beaucoup aidé comparé aux boeufs
informel du jeudi soir avec de bons musiciens et de parler avec
eux de leur approche du jazz. Et puis, ce qui m'a aussi beaucoup
aidé, c'est de m'asseoir avec quelques bons joueurs de clavier
et de jouer avec eux.
Mark : Dans ta biographie, tu fais allusion à Eddie
Manson et Don Carroll.
Bill: Eddie Manson faisait partie des "Harmonica Rascals",
il est allé à la Julliard School. J'ai eu une grande chance
: il habite ici, comme Tommy Reily et d'autres gens, en tant
que musicien classique. Il est absolument fabuleux. J'ai trouvé
un de ces disque qui m'a complétement scié. C'était la bande
originale d'un film, "The Little Fugitive", qui a eu un prix
a un de ces grands festival. C'est un solo d'harmonica qui vous
captive pendant 40 minutes. J'avais commencé à en apprendre
une grande partie d'oreille lorsqu'un ami, le Dr. Don Carroll,
l'a transcrit pour moi. Ensuite il m'a présenté à Eddie et j'ai
grapillé un peu d'argent et j'ai pris des cours avec lui pendant
quelques années. Il m'a appris beaucoup sur l'harmonica, même
s'il détesterait la plupart des choses que je fais (rires).
Il a vraiment des idées très précises sur l'harmonica.
Mark : Toots dit dans une interview dans le livre de
Richard Hunter "Jazz Harp", qu'il aimerait obtenir avec un chromatique
le lamento que les joueurs de diatonique obtiennent. Tu as l'air
de mettre beaucoup de ce son diatonique en jouant du chromatique.
Bill : Oui, j'espère. C'est peut-être juste une question
d'adaptation. Lorsqu'on joue avec ces musiciens de jazz de la
vieille école, c'est un monde différent. Mon jeu, que je le
veuille ou pas, est influencé par le rock and roll et j'ai même
joué dans des groupes punk rock. Tout comme j'ai fait un concert
avec Les Thompson, qui un merveilleux vieux routard du chromatique.
Il a joué avec Charlie Parker et a participé à quelques disques
de Chet Baker. Il a joué avec tout le monde. Il faisait partie
de la première version du Lighthouse All-stars avec Bobby White.
Je me souviens d'avoir pensé que lorsque nous avons joué ensemble,
c'était la nuit et le jour. Nous jouions tous les deux en accoustique
avec le même micro, on s'échangeait des séries de quatre mesures
dans les solos, et tout. Son jeu est exempt de toute influence
rock and roll. Malgré le fait que je pense en termes d'appartenances
stylistique des morceaux ("Sophisticated Lady", c'est du jazz),
on échappe pas à son historique d'écoute ! Mais je n'essaie
pas non plus de jouer comme ça intentionnellement ! J'ai arrêté
de jouer du diatonique il y a quelques années, de façon à
obtenir un son de diatonique sur mes harmonicas chromatiques.
Avant, quand un morceau vraiment blues arrivait dans la set
list, je posais mon chro et je sortais un diato. Abandonner
le diatonique, ça m'a permis de développer un vocabulaire au
chromatique que je n'aurais pas acquis sans ça !
Mark: Quand j'écoutes ce que tu joues, je trouve que
ton vibrato de gorge est un des trucs qui te différencie vraiment
des autres joueurs de jazz.
Bill: C'est vrai que ça n'est pas utilisé si souvent
que ça. C'est marrant d'ailleurs : dans le jazz plus moderne,
de l'après guerre, effleurer un vibrato à la fin d'une phrase
est considéré comme acceptable, mais si on essaie le gros vibrato
de sax tenor, les mecs se retournent en disant "c'est qui ce
rustre"... Mais à l'harmonica, c'est exactement ce qu'il faut
faire pour avoir un son blues. Parfois je pense que ce vibrato
n'est pas adapté et je ne m'en servirais pas, mais je reste
persuadé qu'on ne doit pas tous avoir le même son. J'aime la
façon de jouer de Toots, et beaucoup de gens aiment Mike Turk,
mais leur son ne me prend pas toujours aux tripes comme le fait
celui de la plupart des harmonicistes de blues. L'harmonica
est un instrument très vocal, comme la trompette. Si tu mets
une sourdine Harmon sur une trompette comme le faisait Miles,
sans vibrato, le son est quand même superbe... Je n'essaie pas
de me défaire de mon vibrato, ça c'est clair. Mais parfois,
quand je joues dans une section cuivre de jazz, il m'arrive
accidentellement d'en faire, mais j'essaie de me reprendre !!!
Mark: Tu utilises un son beaucoup plus distordu que
ce qu'on a l'habitude d'entendre en jazz, particulièrement chez
les harmonicistes. Le son associé au chromatique jazz est généralement
très différent. C'était délibéré au départ ?
Bill: Je voulais jouer du jazz, mais j'avais surtout
des concerts blues dans lesquels j'essayais d'intégrer du jazz.
Quand vous êtes un harmoniciste, le truc c'est que vous devez
vous monter votre groupe et chanter si vous voulez avoir suffisamment
de concerts et éviter de devoir payer trop de musiciens. C'est
ça qui vous rend "embauchable". Tout ça pour dire qu'il y a
plusieurs raisons pour ce son, mais une des principales ça a
été le premier album de "Brother Weasel". Je me suis dit que
je n'aurais pas de concerts en jouant ce genre de trucs, donc
faisons un disque juste pour le fun. Un label l'a récupéré,
nous a fait tourner, et le groupe existe encore aujourd'hui
! Et au final je joue ce que je voulais jouer dès le début...
Au passage, il y a des guitaristes qui jouent avec un son fortement
saturé come Mike Stearns, John Schofield et tous ses émules.
Des vrais joueurs de jazz légitimes qui jouent du funk, et qui
le jouent sale ! J'adore ! Des mecs comme Lou Donaldson ou Eddie
Harris jouaient du sax amplifié avec disto dans les années 70,
à l'époque du tout électrique ou tout le monde était influencé
par James Brown...
Mark: Qu'est-ce que tu aurais à dire à un harmoniciste
qui voudrait se mettre au jazz ?
Bill: Il faut rester curieux et trouver soi même l'inspiration.
Il n'y a que comme ça qu'on peut continuer à bosser. Si vous
prenez des cours avec quelqu'un et que vous vous ennuyez, il
y a des chances que vous laissiez tomber... Ecoutez beaucoup
de disques : les disques, c'est comme les livres : ils influencent
la manière dont vous parlez ! Et puis commencez par le catalogue
Jamey Aebersold. C'est plein d'info bien solide. Je ne crois
pas que la musique puisse être segmentée et analysée "par parties"
comme le fait la pédagogie jazz récente, même si ça peut-être
intéressant et utile de la regarder aussi comme ça. L'analyse
de transcriptions de solos n'est pas la même chose que les solos
eux-mêmes, et ce n'est pas de la musique de toute manière. On
peut s'enliser dans ce genre de choses...
Si vous voulez apprendre à jouer du jazz à l'harmonica, commencez
par apprendre où sont les notes sur votre instrument, apprenez
à jouer les gammes et apprenez à lire la musique. A partir de
là, il y a une infinité de trucs à lire et à bosser, mais c'est
du boulot ! Beaucoup de gens ne dépassent pas ce stade, de même
que beaucoup de gens ne dépassent pas les premiers stades de
jeu. A l'harmonica, beaucoup de gens apprennent à altérer, puis
se construisent un vocabulaire de riffs qu'ils imbriquent de
manière plus ou moins créative. Mais si vous voulez jouer du
jazz, cela requiert une compréhension fondamentale de la musique,
indépendamment de votre instrument, en termes de lecture et
d'harmonie.
Mark : En parlant de disques, tes trois disques sur
une ile déserte ?
Bill : (Rires) - Impossible ! Sans doute aucun album
avec de l'harmonica. Je dirais "Gumbo" de Dr John, je peux l'écouter
cinq millions de fois. Une compile du Nat Cole trio des débuts,
c'est quelque chose que j'écoute très souvent. Si j'en choisis
encore un je ne me laisse plus de possibilités, alors j'arrête
là !
Mark : Tu joues beaucoup de compositions, mais tu joues
aussi pas mal de jazz des années 60 aussi. Des trucs de l'ère
Coltrane...
Bill : Dans les disques, j'allais citer "Coltrane Plays
the Blues," bien que ça n'aie pas été une grande influence sur
ma manière de jouer, mais j'aime beaucoup ce disque... Mais
au lieu de celui-là, je citerais plutôt "Masada Vol. 5". C'est
un truc du John Zorn band, ils en ont dix volumes de sortis.
Et voilà... Maintenant j'ai fait mes choix, et il n'y a ni Cannonball
Adderley, ni Eric Dolphy, ni Lou Donaldson. Ca m'énerve !!!
Mark : Autre question : Tu as dit que le disque "Backbone"
était dédié à Lou Donaldson. Quelles sont tes autres influences
majeures en termes de phrasés et de style ?
Bill : En tant que joueur de jazz, mes plus grosses
influences sont des joueurs de blues. Je pense qu'il y a beaucoup
de riffing qui se voulait plus mélodique, mais qui une fois
sur deux sonne trop comme "Juke". Des grosses influences de
cette période sont Lee Morgan, Joe Henderson, Hank Mobley, Jimmy
Smith. La moitié de mes disques sont des Blue Note et Riverside
de cette période. Charles Earland, Horace Silver... Je pourrais
continuer pendant des heures...
Mark : Quels harmonicistes morts ou vivants admires-tu
?
Bill : J'aime beaucoup Tom Ball. C'est un joueur de
blues très traditionnel, mais j'adore ses disques. J'aime bien
Kim Wilson, Brendan Power, et Paul Delay. J'adore Charles Leighton,
son son est extraodrinaire. Voyons voir...
Mark: Est-ce que le son de William Clarke te plait ?
Bill : Ah ouais ! J'adore William Clarke. Son guitariste,
Alex Shultz, est un de mes supers potes. On a joué ensemble.
Je pense que George Smith, Rod Piazza, William Clarke sont tous
des joueurs très différents même si on les catégorise pareil
: le West Coast. Rod Piazza, j'ai une dizaine de disques de
lui, et j'adore le son qu'il obtient, mais je ne suis pas sur
qu'il improvise beaucoup. Par exemple, je trouvais un de ses
instrumentaux vraiment fabuleux, et puis j'ai découvert que
c'était un vieux morceau de Louis Myers joué note pour note...
A mon sens, l'improvisation est une des essences de la musique.
J'aime beaucoup la musique composée, et je trouve très intéressant
d'entendre plusieurs interprêtes jouer la Toccata, mais j'achèterais
aussi un disque pour entendre E. Power Biggs ou Helmut Walsched
la boeufer. Je serais plus intéressé de voir dans quel coin
ils s'enferment en improvisant sur une fugue. Donc entendre
quelqu'un en live qui joue la même chose que sur ses disques,
ça ne m'excite pas. On sait qu'il ne se met jamais en danger...
William Clarke, on sentait qu'il risquait à tout moment de s'effondrer,
tellement il prenait des risques. En plus de ce son et de ce
groupe, c'était génial... Et à part la dernière fois où je l'ai
vu jouer, ses concerts étaient tous supers et tous très différents.
D'ailleurs ils viennent de ressortir son "Tip of the Top". J'adore
ce disque !
Mark : Avec quel matos joues-tu ?
Bill : Généralement un Sonny Jr. II de Gary Onofrio.
Il a six haut-parleurs de huit pouces et peut être utilisé à
travers deux niveaux de sortie. Je crois qu'il a arrêté de les
faire maintenant. C'est un peu comme un bon Bassman.
J'ai une floppé de micros, mais en général j'utilise un Green
Bullet que j'ai acheté il y a un moment. C'est un "controlled
reluctance". Pour Brother Weasel et les concerts blues, j'amène
un delay analogue Ibanez AD99 que j'utilise avec parcimonie.
Pour Beutet, j'ai aussi quelques effets par Carl Martin que
j'utilise sur quelques morceaux bien précis. L'un est un Chorus
II et l'autre un Tremovibe : c'est un tremolo plus un vibrato,
je règle juste le vibrato au max. Ca sonne assez sinistre et
je m'en sers surtout pour faire rire ! J'ai aussi un vieil émulateur
de Leslie des années 70.
Si c'est un petit concert, j'amène un des mes Fender Champs
- j'ai un tweed '55 et un Vibrochamp '65 - parfois j'emmène
les deux. J'ai une sortie sur le tweed Champ donc parfois je
l'utilise comme un pre-ampli du Vibrochamp. Ca crache pas mal.
Ou alors j'amène l'ampli le plus épouvantable de la terre
: c'est un Fender Princeton '56. Je n'ai jamais enregistré avec
mais je te garantis qu'il doit être illégal !!!
Si je fais un concert jazz et que je veux un son plus clean,
j'ai un ampli Roland KC300 ou je joue direct dans la sono. Si
je joues avec le Roland j'amène un pickup harmonica Barcus-Berry.
Je joue beaucoup avec une tasse pour jouer acoustique et pour
avoir le son wah-wah d'une trompette bouchée. Ou alors j'utilise
mon Shure SM-58 à travers un pre-ampli à lampes ART avec un
digital delay. Ca me garantit à peu près un son chaud où que
je sois. Donc je fais mes paquets selon le concert !
Mark : Donc tu n'utilises pas le Sonny Jr. pour des
concerts de jazz ?
Bill : Rarement. Je fais un concert bientôt avec un
big band qui s'appelle DBA et dans lequel joue Mike Acosta,
un joueur de sax qui joue sur mon CD "Peepin". On joue beaucoup
de trucs période Wayne Shorter et là j'amène le Sonny Jr. Parce
qu'avec un Big Band il faut se faire entendre ! C'est trop compliqué
de mettre l'harmo dans le mix, et le son colle bien avec le
reste des cuivres (trombone, trompette et sax alto.)
Mark : Et les harmos ?
Bill : J'amène juste quelques CX-12's en "C". Ils sont
tous accordés avec l'accordage Be-Bop. L'accordage bebop est
juste un peu différent : les deux notes soufflées des trous
4 et 8 sont accordées un ton en dessous. Le Do devient un Si
bémol et le Ré bémol devient un Si.
Mark : Qu'est-ce que ça apporte par rapport à l'accordage
chromatique classique ?
Bill : D'abord, plus de choix en matières d'intervalles.
Si tu joues en Fa#, tu as un tri-ton supplémentaire, le Mi et
le La# ou le Mi et le Si bémol. Ca te donne deux séries de tri-ton
de plus donc tu as tous les tri-tons sauf deux, ce qui veut
dire que tu as un tri-ton avec lequel tu peux jouer deux accords
dominants. Ca fait donc quatre accords de plus dont tu peux
te servir. Ca donne beaucoup plus de possibilités pour jouer
deux ou trois notes simultanément. Ca confère aussi un jeu soufflé
plus fluide et symétrique. Ces Do et Ré bémol redondants créent
une interruption gênante. Mais bon, l'harmonica est vraiment
un instrument de fou. Le mec qui a conçu devait faire le concours
de l'instrument sur lequel le jazz est le plus difficile...
Mark : Tu bricoles tes harmos toi-même ?
Bill : Oui. J'ai aussi loué les services de Brendan
Power et, il y a quelque années, de Dick Gardner. Mais j'ai
essayé pas mal de réparateurs, et il y en a vraiment qui sont
nuls... Parfois les harmos me revenaient complètement désaccordés...
Généralement, si je pense que je n'aurais pas le temps, je les
envoie à quelqu'un. J'en ai acheté un à Brendan Power récemment,
et il m'a envoyé un Hohner CX-12 avec des plaques Suzuki. C'est
génial. Il est super étanche et projette le son de manière étonnante !
Il fait d'autres modifs aussi, je ne sais pas trop comment elles
affectent le son, mais ça donne un look : il perce des trous
à travers les capots et met des résonnateurs en métal en dessous.
Pour avoir un bon son amplifié au chromatique, il faut avoir
un chromatique qui joue fort pour que le signal soit puissant,
et il ne faut pas oublier la position des mains. Malheureusement,
beaucoup de gens ignorent la technique du micro dès qu'ils commencent
à jouer du chromatique...
Mark : C'est quoi les limites du jazz au chromatique
?
Bill : Un trompettiste ne jouera jamais aussi vite qu'un
sax tenor. C'est la nature de l'instrument. Je peux jouer aussi
vite que je ne l'ai jamais fait sur un rythme qui pulse, et
un saxophoniste, même moyen, se pointera et jouera mon solo
en rajoutant des embellissements... Je n'ai jamais eu pour objectif
de jouer vite, ce n'est qu'une conséquence du fait d'écouter
des gens qui jouent vite. Je préfère entendre un solo bien construit
quel que soit le tempo... A cause des limitations de l'harmonica,
tu ne joueras jamais aussi vite que la plupart des instruments
à vent. Quand j'entends des gens qui essaient d'aller au-delà
de ça, comme John Popper, je trouve ça vite lassant...
Mark : Il y a des moments où tu joues vite sans que
ça sonne mécanique. En fait, il y a même des passages sur "Backbone"
et "Peepin" où tu montes dans le registre aigü tellement vite
que ça se fait tout seul. On a presque l'impression que tu vas
au-delà du douzième trou, et en fait non !!! Mais ça sonne super
parce que c'est à la limite de la perte de contrôle...
Bill : Merci pour le compliment. C'est ce que je recherche.
J'aime beaucoup les solos be-bop très gracieux, comme ce que
fait Sonny Stitt, mais tu sais qu'il ne va jamais se perdre,
jamais pêter les plombs. Il y a quelque chose dans la musique
qui se met en danger qui m'attire. Si tu as suffisamment de
bagage, l'esprit clair et que tu tentes de faire quelque chose
que tu n'as jamais fait, c'est là qu'il y a un vrai plaisir...
Mark : Sur le morceau éponyme de "Peepin" tu
échanges des séries de quatre mesures avec Mike Acosta, le saxophoniste,
et on dirait presque que vous faites une compétition.
Bill : C'est vrai : c'est un joueur tellement frénétique
que les question-réponse virent au duel très vite. C'est vraiment
un musicien extraordinaire, un mec genre Phil Woods. Je n'avais
jamais joué avec lui avant cet enregistrement. Il ne faisait
pas partie du groupe. Je me suis juste dit que j'allais mettre
un sax tenor sur le disque. On s'était rencontré deux ou trois
fois, donc je l'ai appelé. On a fait deux, trois prises max
par morceau. Sur celui-là d'ailleurs, le batteur a oublié de
s'arrêter, ce qui fait que la fin est différente de ce qui était
prévu.
Mark : Tu tiens la route à côté de lui, à la fois en
termes de son et de phrasés.
Bill : Merci ! C'est marrant parce que ça n'était pas
censé se terminer comme ça. On s'est laissés emporter : je pensais
que ça allait se terminer là, on échange quatre puis quatre
puis quatre et tout à coup il n'y a plus que le batteur. Du
coup je prends les quatre suivants, Mike joue par dessus, on
part sur deux-deux et puis je finis en riffs et il prend le
dernier chorus.
Mark : Tu fais pas mal de trucs à l'unisson avec le
sax, ça crée un son très épais.
Bill : Le pianiste et moi, on avait parlé de ça. J'allais
écrire des harmonisations pour le saxo, et il m'a signalé que
la plupart des instrumentaux de l'ère Lou Donaldson n'ont pas
de thème harmonisé. Je pense que ce truc à l'unison c'était
la manière pour les jazzeux de cette époque d'essayer de surfer
sur la vague rock & roll et funk/R&B. Echec patent du
point de vue succès, mais du coup ils ont créé un hybride qui
me paraît très intéressant à tous les points de vue. Du coup,
on a opté pour l'unisson et un son plus gros.
Mark : Y a t'il une difficulté particulière à s'adapter
au phrasé d'un cuivre ?
Bill : Sur ce disque là avec Mike, non. Mike a joué
dans des millions de sections cuivre, il a le talent pour sentir
dès la deuxième mesure comment ça sonne et s'y adapter. En général
ça marche bien avec des musiciens avec lesquels je joue beaucoup,
comme dans Beutet. Dans Beutet, tous les thèmes sont à l'unison
avec un sax alto, Tony Atherton. Ca fait vingt ans qu'on joue
ensemble, et on a aucun mal à anticiper ce que l'autre va faire.
Dans Brother Weasel, il y a plus d'harmonies, mais le saxophoniste,
Vince Meghrouni (un super joueur de blues et de funk au tenor)
on se pique des phrases depuis si longtemps qu'on sonne pareil.
Mais c'est vrai qu'il peut être difficile de bien identifier
le phrasé utilisé, le sens du swing peu être différent. En plus,
on ne lit pas tous toujours correctement les partoches, il y
a parfois une note dont la durée sera un peu différente, ou
l'articulation. Mais généralement quand ça arrive les gars s'arrêtent
et te demandent si c'est voulu. Parfois aussi, mon background
blues me fera terminer une note en l'altérant, ce qui peut rendre
l'ensemble moche avec les cuivres. Je dois me réfréner !
Mark : Quelle est l'acceptance de l'harmonica auprès
des autres musiciens ?
Bill : C'est l'instrument le plus décrié qui me vienne
à l'esprit, à part peut-être la cornemuse. Récemment il y avait
un joueur de cornemuse à un mariage auquel je jouais, et j'ai
pu me foutre de lui, ça fait du bien ! En fait, ça dépend beaucoup
s'ils ont entendu parler de Toots Thielemans. Sinon les gens
pensent tout de suite blues ou feu de camp. Parfois, tu sens
tout de suite une mauvaise vibration avec l'un ou l'autre musicien.
Si je peux l'éviter, je ne joue jamais avec un mec qui a cette
mauvaise vibration. Si les gens ne sont pas ouverts d'esprits,
ils ne sont pas ouverts d'esprit sur scène non plus, et ça ne
peut rien donner de bon. Donc à moins qu'on me paye pour le
faire, je ne joue pas avec ces mecs là.
Mark : J'ai remarqué que sur tes CDs, où tu es pourtant
le leader, ça sonne pas du tout comme un disque de Rod Piazza
où Piazza est clairement le soliste phare et tous les autres
sont là en soutien.
Bill : Tout à fait. Et le mix reflète ça d'ailleurs
: son harmo est mixé deux fois plus fort que tout le reste.
C'est un truc de star...
Mark : Tes albums sont plutôt sur un modèle de formation
jazz, les solistes ayant une part équitable du temps.
Bill : C'est clair que je ne voulais pas contraindre
qui que ce soit. Je voulais que ça soit spontané. Kenny, le
guitariste, fait toujours des solos longs, mais il a aussi beaucoup
de vocabulaire. L'idée c'était pas de me mettre en avant mais
de faire un disque qui me plaise sur lequel il se trouve que
je collabore.
Mark : Tu peux nous parler de tes prochaines sorties
?
Bill : Voyons voir : je vais sortir "Guilty", qui est
un disque du Bill Barrett Quartet beaucoup plus orienté blues
et qui présente aussi quelques out-takes de la session d'enregistrement
de "Backbone". Ca va sortir sur mon propre label, Woe Tone.
Ensuite, le CD de Beutet va sortir, j'espère sur le label Atavistic.
Je vais aussi sortir un disque avec Marisol Saens, un chanteuse
de jazz brésilienne. Il y a un disque du Leisure Time Orchestra,
qui est un petit big band d'une dizaine de musiciens. L'un des
compositeurs de ce groupe est Frank San Filippo, le type dont
je parlais plus tôt. Les instrumentations sont bizzares, les
compositions inhabituelles avec une clarinette, une clarinette
basse, un flute, un saxo, un harmonica plus guitare, batterie
et basse. Normalement, Brother Weasel va sortir "Heads and Tails,"
pour lequel on répète en ce moment (enregistrement le 18 Mai.)
Ce sera le troisième de Brother Weasel, mais on est pas sûr
que SST voudra le sortir. Si ce n'est pas le cas, il y a un
ou deux autres labels qui ont manifesté un intérêt. Enfin, le
Frank San Filippo Quintet/Sextet qui joue ses compositions,
mais ça n'a pas encore été enregistré, c'est sans doute pour
Juin.
Mark : Sur Brother Weasel vous faites du swing, du jump
blues, du funk...
Bill : Et chacun de ces styles peut être exploité autrement,
chacun peut devenir du bon jazz légitime.
Mark : Sur le premier Brother Weasel, "The Preacher"
de Horace Silver sonne presque comme s'il y a avait un groove
western...
Bill : C'est le fait d'avoir Paul Hobbs à la guitare
! C'est pour ça qu'on l'a choisi ! Un harmoniciste de blues
qui joue du jazz avec un guitariste de country. (Rires)
Mark : Sur "Swingin and Groovin", il n'y a que des compos
?
Bill : Non. Brother Weasel a un répertoire énorme. Quelques
centaines de morceaux. Mais quand on enregistre, au lieu de
faire ce qu'on fait en live, on rajoute encore de strucs nouveaux,
ce qui est le contraire de ce qu'on devrait faire. Donc en ce
moment, j'apprends quelques thèmes nouveaux, et je réécris quelques
thèmes plus anciens pour que les gens ne s'en lassent pas.
Mark: Qui chante sur "Guilty"?
Bill : C'est moi. Sur "Mona" j'ai enregistré le chant
en overdub par dessus l'harmo.
Mark: Sur "Hate to See You Go" (Guilty), tu joues des
intervalles vraiment discordants.
Bill : Tu m'étonnes ! On a enregistré ça juste quand
je commençais à utiliser mon accordage bebop. Je crois qu'à
un moment je joue du Fa au Si au Mi au Sib.
Mark : Est-ce que tu peux me décrire Beutet ?
Bill : C'est "Little Walter rencontre Ornette Coleman".
Ce sont exclusivement des compos de Steve Liebig avec des thèmes
aux parties multiples et une improvisation sensée être free.
J'approche ça de manière modale, parce qu'on ne peut pas juste
jouer "n'importe quoi". Il faut d'une certaine manière se limiter
pout créer. Je discute aussi avec le compositeur pour savoir
ce qu'il veut faire avec tel ou tel morceau. Il aura eu l'idée
d'un thème qui est une version mutée de la ligne de basse de
"Smokestack Lightin'." Il aura des idées de riffs de blues étranges
et distordus, permutés ou dans des clés bizarres. C'est souvent
des trucs dans des gammes diminuées qui se prêtent bien au blues.
Des grooves très cools. Le batteur, Joe Berardi est complètement
chtarbé. Il utilise un pot de popcorn retourné comme tom, et
douze petits blocs de bois alignés qui piaillent comme des lutins...
Mark : Tu fais des sessions d'enregistrement ?
Bil l: Un peu. Il y a un studio d'enregistrement qu'on
loue à l'arrière de ma maison. L'autre jour c'était Kenny Burrell
et feu Billy Higgens (Rires). Des grands du jazz mais aussi
des projets bizarres. Le propriétaire/ingénieur c'est Wayne
Peet qui est un ami et aussi mon proprio. J'enregistre des trucs
là-bas et dans quelques autres studios, pour des gens que je
n'ai jamais vus. L'an dernier, il n'y a que quelques disques
sur lesquels j'ai joué qui m'ont vraiment plus, dont le King
Cake Trio. Ils font du New Orleans "out", tuba, clarinette,
et percussioniste. Je suis invité sur 4 ou 5 morceaux.
Mark : Vu combien tu utilises l'Orgue Hammond de Wayne
Peet sur tes disques, est-ce que tu as une opinion sur la complémentarité
de timbre de l'harmo et de l'orgue ?
Bill : Au début je me posais des questions, mais en
fait je trouve que ça sonne. L'Hammond utilise une part tellement
importante du spectre sonore que ça peut tout bouffer. L'harmonica
est très spécifique dans son utilisation du spectre, même avec
un bon ampli. L'harmonica peut être mixé fort et ça ne bouffera
personne, sauf peut-être le chanteur et quelques instruments
qui sont dans les mêmes fréquences.
Mark : Des réflexions sur l'écriture ?
Bill : Pour le BBQ, je recherchais des supports à l'improvisation,
qui me permettent d'improviser d'une manière que j'aime. A chaque
fois, je choisis soit un morceau qui me permet de m'éclater,
soit un morceau qui me force à bosser un truc que je joue mal.
Et puis je le transpose dans une clé zarbi et j'emmerde tout
le monde (Rires.) Je pense que les mélodies me viennent d'abord,
et ensuite je cherche une séquence d'accords qui va bien en
dessous.
Mark : J'ai oublié de demander quelque chose ?
Bill : Je crois qu'il y a des trucs que je n'approche
pas comme les autres harmonicistes. C'est peut-être juste une
conséquence de la pauvreté de ma culture musicale en matière
d'harmo, parce que je me doute que des mecs font ça aussi ailleurs.
Altérer au chromatique, par exemple, ça ne se fait généralement
pas, et c'est quelque chose que j'ai vraiment travaillé. Demi-ton,
ton, parfois tierce, tout ça est faisable. Mais tout en sachant
quelles notes on joue quand on altère, comme le ferait un joueur
de diatonique moderne. Ca donne une vraie différence de timbre.
Jouer un La direct ou jouer un La en altérant le Sib selon ce
qu'on va jouer après. Je pense que ce qui manque beaucoup au
chromatique c'est le glissando et le portamento, en d'autres
termes, de l'altération et de l'articulation. Et puis en faire
sortir un son blues. J'ai aussi travaillé à jouer des deux côtés
de la langue pour avoir des choix d'intervalles plus bizarres.
Je ne joue presque qu'en tongue blocking.
Mark : Ca permet d'accélérer les sauts d'intervalles
aussi, non ?
Bill : Tout à fait. Un truc que je voulais éviter à
l'harmonica, c'est qu'on en joue trop souvent de manière séquentielle,
case après case. Ca peut sonner bien, mais le jazz n'est pas
toujours séquentiel. Particulièrement au saxo ou au piano. Parfois,
quand je joue des quintes, les deux notes ne sont pas sur la
même octave. Le trou 1 et le trou 7 par exemple, ou si je joue
des dixièmes, le trou 1 et le trou 6. Il y en a beaucoup sur
"Hate to See You Go" (Guilty). Sur le CD du Beutet je vocalise
dans l'harmonica, je marmonne des contre-mélodies en harmonie
ou une fondamentale, et je m'en sers comme base d'improvisation.
En ce moment, je travaille à une série de compositions de type
Klezmer rencontre Chess.
Mark: Tu aimes ces juxtapositions inhabituelles, hein
!
Bill: J'adore ! Je joue du klezmer dans un groupe depuis
deux ans, et mon trip en ce moment c'est les musiques grecques
et arméniennes.
Bill Barrett peut être joint à:
310-390-7856
P.O. Box 642590
Los Angeles, CA 90064
email: billbarrett23@hotmail.com
website: http://billbarrett.net/
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