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Interview : Vincent Bucher


Vincent BucherVincent Bucher est un des harmonicistes vraiment originaux de la scène française. Ayant débuté sa carrière au sein des formations blues Françaises, il a diversifié son approche musicale à travers des collaborations avec des artistes malgaches et africains, et mis au service de ces musiques un son puissant et un feeling omniprésent. Nous l'avons rencontré lors de l'édition 2000 des Harmonicales de Condat où nous avons pu l'interroger en collaboration avec Christophe Gibeau, chroniqueur radio de Limoges.

Planet Harmonica : Bonsoir merci d'être là ! Je voulais commencer par te demander comment tu es arrivé à l'harmonica, question bateau, mais aussi comment tu es arrivé à t'intéresser à des styles musicaux inhabituels pour l'harmonica, ou en tout cas pas très répandus.

Vincent Bucher : J'ai commencé l'harmonica vers 16-17 ans, à travers le blues, qui reste ma musique de prédilection. Et puis j'ai rencontré Tao (Ravao) et on a commencé à jouer dans la rue. J'ai aussi rencontré à l'époque Sugar Blue qui a été le premier à me faire jouer sur scène à me faire faire le boeuf. Et puis au fur et a mesure j'ai rencontré d'autres musiciens j'ai intégré des groupes j'ai commencé à tourner sur le circuit des clubs et des concerts.
Tout ça tournait surtout autour du blues. Je me suis intéressé a d'autres musiques par le blues justement en écoutant des musiques cousines, à travers ses racines africaines, caribéennes dont on sentait la proximité avec le blues. Vivre à Paris pour ça c'était génial : il y avait beaucoup de musiciens d'origines différentes, et j'ai eu l'opportunité d'intégrer des groupes pour jouer d'autres choses que du blues.

PH : J'imagine qu'il y a quand même eu une recherche instrumentale pour t'adapter à un style musical, des rythmiques et des harmonies différentes ?

VB : En fait, harmoniquement, les musiques que je joue sont assez similaires. Mais bien sûr, il faut écouter beaucoup, comprendre l'esprit et surtout la signification de ces musiques. Parfois, on entend une musique, on joue dessus et on croit que c'est bien parce que ça colle. En fait, il faut écouter ce que chaque instrument veut dire, comprendre la place qu'il a, le rôle qu'il joue. Il faut aussi faire très attention à certains principes rythmiques plus ou moins complexes selon les musiques. Tout cela demande pas mal d'écoute.

PH : J'imagine que rythmiquement il y a pas mal de différences par rapport au 4/4 classique du blues.

VB : Oui, il y a pas mal de différences. Il y a des principes avec lesquelles il faut se familiariser.

PH : Aujourd'hui tu pratiques un style malgache avec Tao, un style malien avec Lobi Traoré. Est-ce qu'il y a d'autres choses sur lesquelles tu travailles ?

VB : Je continue à faire pas mal de blues. De temps en temps je fais de la musique plus proche de la variété avec des gens comme Charlélie Couture. Je fais de la musique, quoi.

PH : De toute façon c'est toujours de la musique ! Au niveau harmonica, est-ce que cette variété de styles pratiqués t'a amené à travailler avec des accordages différents ou à développer des techniques particulières pour mieux coller avec un style, trouver des sonorités différentes ?

VB : Pas vraiment en fait. J'ai quelques harmos dans des accordages différents mais je me rends compte que je ne les utilise pas sur scène, juste quand je joue pour moi. J'utilise pas mal de positions et encore je reste assez classique par rapport a certains artistes qui pratiquent les overblows.

PH : Ce qui est intéressant c'est que tu sonnes quand même très différent…

VB : En fait, ça sonne différent parce que je réfléchis au phrasé et au rôle joué par l'harmonica. Sur la musique malgache, par exemple, j'ai beaucoup écouté les accordéonistes, leur place dans la musique, et je m'en suis inspiré. Pour la musique malienne avec Lobi, j'ai beaucoup écouté les violons traditionnels maliens et je me dis que c'est un peu ce rôle la que peut jouer l'harmonica. Des fois je suis très surpris parce que les violonistes jouent des phrases, des mélodies, qui passent super bien à d'harmo.

PH : Finalement, tu essayes de trouver une place pour l'harmonica qui correspond à celle d'instruments qui existent déjà dans l'idiome…

VB : Oui, tout a fait.

PH : : Pour en revenir à la musique malgache, il y a un harmoniciste malgache qui est assez épatant, c'est Jean Emilien. Tu l'as rencontré ?

VB : Oui je l'ai rencontré, c'est un copain. Il est non seulement harmoniciste mais il joue de la kabosy en même temps. J'ai entendu plusieurs harmonicistes à Madagascar mais lui c'est vraiment le meilleur. C'est un peu dans la tradition des accordéonistes, ce côté "lamelle" qui est très présent à Madagascar.

PH : Est-ce que ce sont ces musiciens contemporains qui ont amené l'harmonica dans la musique traditionnelle ou est-ce que ça fait longtemps que les harmonicas trémolos sont présents à Madagascar ?

VB : J'imagine que ça fait pas mal de temps parce qu'en fait ça vient du rôle de l'accordéon, qui a été amené par les pasteurs dans les églises. Et l'accordéon est sorti des églises et est devenu un instrument de cérémonies traditionnelles, de transe, ce genre de choses. J'imagine que les harmonicas qu'ils ont là-bas, les trémolos et les harmos chinois ont pris grâce à l'accordéon.

PH : Ils jouent plutôt de l'accordéon piano ou diatonique ?

VB : Ce sont des accordéons diatoniques mais ils liment les lamelles en fonction des gammes qu'ils utilisent, ils les réaccordent quoi.

PH : Sur un autre sujet, quels sont tes projets en cours avec les formations actuelles ou des nouvelles formations ?

VB : Avec Tao et Karim Touré, le percussionniste du groupe on a dans l'idée de faire un nouvel album. Sinon j'ai aussi en projet de travailler avec un jeune bluesman de Memphis qui s'appelle ? Et puis je veux aussi bosser un peu pour moi, creuser quelques idées.

PH : Je sais que tu connais bien certains harmonicistes aux US, je sais aussi que tu as produit le dernier album de Matthew Skoller il y a quelques mois… Est-ce que tu n'as pas le sentiment que la scène blues, aux US (ou ailleurs) se répète beaucoup, qu'elle n'est pas très fertile ?

VB : C'est effectivement un problème général du blues. Le blues est devenu un "style musical" alors qu'avant c'etait une musique communautaire et populaire. Maintenant c'est toujours une musique populaire, mais c'est devenu un style. Les musiciens se sentent donc obligés de faire des exercices de style. Il y a encore beaucoup de talents, des gens qui font des choses intéressantes d'un point de vue instrumental, mais il y a un vrai problème de répertoire. Il faut apporter un nouveau répertoire. On peut rester dans le 12 mesures ou en sortir, le problème n'est pas la. Mais il faut apporter de nouvelles chansons. Si le blues est devenu connu c'est parce qu'il y a eu des chansons et c'est ce qui manque un peu. Souvent, les musiciens ont tendance à faire des morceaux qui ne sont que des prétextes pour les solos. C'est un peu dommage. Les solos devraient être là pour mettre en valeur un morceau, pas le contraire...

PH : Je suis d'accord. Un des aspects qui m'attriste dans le blues récent c'est que les mecs n'écrivent plus de textes. Il n'y a pas grand chose qui parle de vécu, qui dise quoi que ce soit.

VB : Tu es méchant, il y en a quand même qui le font ! Le truc, c'est que depuis la fin des années 70, depuis que le blues a été écouté par le publique de rock, il y a eu une espèce de compromission : les bluesmen se sont mis à jouer aux rock stars parce que le public le demandait. Or ce n'est pas l'essence de cette musique. C'est un peu contre nature…

PH : Est-ce que vous voyagez beaucoup avec Tao et Lobi ?

VB : Ces deux dernières années, on a pas mal voyagé. On est allé en Afrique, avant on était au Canada, aux Antilles, à la Réunion... En ce moment on n'a pas de plan particulier à l'étranger, mais ça peut venir.

PH : On sent qu'il y a une sorte revival de tout ce qui est "ethnique", avec du bon et du mauvais. Tu penses que vous entrez dans cette mouvance, où est-ce que c'est un truc que vous trouvez malsain, une exploitation commerciale de musiques traditionnelles ?

VB : Il y a un peu des deux. Déjà, le mot " world" ne veut pas dire grand chose. Comme s'il y avait de la musique qui n'est pas world ?! Ça a un côté un peu bizarre. C'est vrai qu'il y a un aspect village global, une tendance à tout mélanger qui est un peu malsaine. En même temps, ça fait aussi connaître plein de musiques et d'artistes qu'on aurait jamais eu l'occasion de connaître… Au bout du compte, la musique c'est devenu un business, c'est aux gens après de rechercher ce qu'ils ont envie d'écouter et qui leur plait. C'est vrai qu'il y a un côté positif et un côté pervers. En tous cas, "world music" ça ne veut rien dire, c'est une appellation très marketing…

PH : Quand vous voyagez, quand vous faites des tournées un peu partout, ça vous arrive de rencontrer des musiciens du cru, de jouer avec eux ou simplement de les écouter jouer ?

VB : Bien sûr, c'est même l'intérêt essentiel du truc. Quand on a fait une longue tournée en Afrique, dans chaque pays on a rencontré des musiciens locaux ; au Kenya on a effectivement joué avec eux. Dans d'autres pays on les a juste écoutés et puis après on a pu discuter. Ca dépend beaucoup du temps qu'on a et des opportunités. Mais ça fait partie des objectifs pour nous en tous cas.

PH : Ca vous donne des idées, ça vous inspire ? Est-ce qu'il vous arrive d'intégrer des éléments, des approches, des styles ?

VB : Absolument. Parfois des musiciens offrent à Tao des instruments, ça lui donne des idées. Pour ma part, après une tournée j'étais reparti en Erythrée pour pour travailler avec un groupe de là-bas. Ca ouvre les horizons, et et puis c'est le but du jeu, où qu'on soit, d'écouter les gens, qu'on joue avec eux ou pas. En tout cas de les rencontrer.

PH : Vous avez des projets d'aller en Asie ou en Amérique du Sud, ce genre de pays ?

VB J'aimerais beaucoup aller en Asie, mais je ne connais pas du tout. En fait c'est souvent l'occasion qui fait le larron. C'est dur de provoquer ce genre de tournée, et de les budgéter. On a eu de la chance d'aller déjà là où on est allé…

Christophe : Et par rapport aux Harmonicales de Condat, quel est ton avis sur ce festival 100 % harmo ?

VB : Moi, je trouve ça bien. Ça peut être bien ou ça peut être chiant selon la manière dont c'est organisé. Je connais Laurent depuis longtemps, et je sais qu'il l'organise dans un bon esprit. Ca donne une vision musicale des choses. Si c'est pour faire un concours d'harmo avec remise des prix moi ça me gonfle un peu. Par contre quand c'est harmo avec différents groupes et différentes musiques, l'harmo devient un véhicule pour découvrir de nouveaux musiciens qui ne sont pas forcement harmonicistes. Là, je trouve ça bien. C'est plus l'esprit dans lequel ce festival est organisé.
Ca n'a pas d'intérêt si c'est simplement de la démonstration d'harmonica. Il faut que ça permette de découvrir des groupes. Ca a un côté intéressant de montrer ce qu'est l'harmonica. C'est un instrument qui peut être accessible à plein de gens. C'est bien quand des festivals font sortir l'instrument de son image un peu.

PH : Pour finir, ce nouvel album avec Tao et Karim, on peut l'espérer pour quand ?

VB : Je pense qu'on va essayer de l'enregistrer dans la première moitié de 2001 et qu'il sortira vers Septembre. Il y a plein d'impératifs qui font qu'un album sort ou ne sort pas…

PH : Pour l'instant, j'imagine que les deux premiers ont du bien marcher puisqu'ils ne plus disponibles ?

VB : Oui ça se vend, mais c'est de la petite distribution... Si déjà on s'y retrouve financièrement, c'est bien. Mais de là à dire que ça marche, il y a un pas… Mais bon, ça fait exister le groupe, les gens ont la possibilité de l'écouter, on en vend en concert, on en vend un peu en magasin. Au moins ça nous maintient en vie. Et puis c'est toujours super intéressant de s'enregistrer, parce qu'on apprend énormément. Même si en fin de scéance d'enregistrement c'est dûr de ne pas être critique vis à vis de ce qu'on a fait.

PH : C'est un moyen de regarder ce qu'on fait avec un œil extérieur ?

VB : Oui. Parfois, lorsqu'on réécoute des albums faits il y a longtemps, avec le recul, on se dit "tiens ça s'était bien quand même" ! Il y a une perspective différente.

PH : De toute façon, juste après c'est toujours le moment le plus difficile parce qu'on regrette plein de trucs.

Bon alors on se revoit au plus tard quand l'album sort.

VB : Voila, merci !



BF