Planet Harmonica : Bonsoir merci d'être là
! Je voulais commencer par te demander comment tu es arrivé
à l'harmonica, question bateau, mais aussi comment tu
es arrivé à t'intéresser à des styles
musicaux inhabituels pour l'harmonica, ou en tout cas pas très
répandus.
Vincent Bucher : J'ai commencé l'harmonica vers
16-17 ans, à travers le blues, qui reste ma musique de
prédilection. Et puis j'ai rencontré Tao (Ravao)
et on a commencé à jouer dans la rue. J'ai aussi
rencontré à l'époque Sugar Blue qui a été
le premier à me faire jouer sur scène à
me faire faire le boeuf. Et puis au fur et a mesure j'ai rencontré
d'autres musiciens j'ai intégré des groupes j'ai
commencé à tourner sur le circuit des clubs et
des concerts.
Tout ça tournait surtout autour du blues. Je me suis
intéressé a d'autres musiques par le blues justement
en écoutant des musiques cousines, à travers ses
racines africaines, caribéennes dont on sentait la proximité
avec le blues. Vivre à Paris pour ça c'était
génial : il y avait beaucoup de musiciens d'origines
différentes, et j'ai eu l'opportunité d'intégrer
des groupes pour jouer d'autres choses que du blues.
PH : J'imagine qu'il y a quand même eu une recherche
instrumentale pour t'adapter à un style musical, des
rythmiques et des harmonies différentes ?
VB : En fait, harmoniquement, les musiques que je joue
sont assez similaires. Mais bien sûr, il faut écouter
beaucoup, comprendre l'esprit et surtout la signification de
ces musiques. Parfois, on entend une musique, on joue dessus
et on croit que c'est bien parce que ça colle. En fait,
il faut écouter ce que chaque instrument veut dire, comprendre
la place qu'il a, le rôle qu'il joue. Il faut aussi faire
très attention à certains principes rythmiques
plus ou moins complexes selon les musiques. Tout cela demande
pas mal d'écoute.
PH : J'imagine que rythmiquement il y a pas mal de différences
par rapport au 4/4 classique du blues.
VB : Oui, il y a pas mal de différences. Il y
a des principes avec lesquelles il faut se familiariser.
PH : Aujourd'hui tu pratiques un style malgache avec
Tao, un style malien avec Lobi Traoré. Est-ce qu'il y
a d'autres choses sur lesquelles tu travailles ?
VB : Je continue à faire pas mal de blues. De
temps en temps je fais de la musique plus proche de la variété
avec des gens comme Charlélie Couture. Je fais de la
musique, quoi.
PH : De toute façon c'est toujours de la musique
! Au niveau harmonica, est-ce que cette variété
de styles pratiqués t'a amené à travailler
avec des accordages différents ou à développer
des techniques particulières pour mieux coller avec un
style, trouver des sonorités différentes ?
VB : Pas vraiment en fait. J'ai quelques harmos dans
des accordages différents mais je me rends compte que
je ne les utilise pas sur scène, juste quand je joue
pour moi. J'utilise pas mal de positions et encore je reste
assez classique par rapport a certains artistes qui pratiquent
les overblows.
PH : Ce qui est intéressant c'est que tu sonnes
quand même très différent
VB : En fait, ça sonne différent parce
que je réfléchis au phrasé et au rôle
joué par l'harmonica. Sur la musique malgache, par exemple,
j'ai beaucoup écouté les accordéonistes,
leur place dans la musique, et je m'en suis inspiré.
Pour la musique malienne avec Lobi, j'ai beaucoup écouté
les violons traditionnels maliens et je me dis que c'est un
peu ce rôle la que peut jouer l'harmonica. Des fois je
suis très surpris parce que les violonistes jouent des
phrases, des mélodies, qui passent super bien à
d'harmo.
PH : Finalement, tu essayes de trouver une place pour
l'harmonica qui correspond à celle d'instruments qui
existent déjà dans l'idiome
VB : Oui, tout a fait.
PH : : Pour en revenir à la musique malgache,
il y a un harmoniciste malgache qui est assez épatant,
c'est Jean Emilien. Tu l'as rencontré ?
VB : Oui je l'ai rencontré, c'est un copain.
Il est non seulement harmoniciste mais il joue de la kabosy
en même temps. J'ai entendu plusieurs harmonicistes à
Madagascar mais lui c'est vraiment le meilleur. C'est un peu
dans la tradition des accordéonistes, ce côté
"lamelle" qui est très présent à
Madagascar.
PH : Est-ce que ce sont ces musiciens contemporains
qui ont amené l'harmonica dans la musique traditionnelle
ou est-ce que ça fait longtemps que les harmonicas trémolos
sont présents à Madagascar ?
VB : J'imagine que ça fait pas mal de temps parce
qu'en fait ça vient du rôle de l'accordéon,
qui a été amené par les pasteurs dans les
églises. Et l'accordéon est sorti des églises
et est devenu un instrument de cérémonies traditionnelles,
de transe, ce genre de choses. J'imagine que les harmonicas
qu'ils ont là-bas, les trémolos et les harmos
chinois ont pris grâce à l'accordéon.
PH : Ils jouent plutôt de l'accordéon piano
ou diatonique ?
VB : Ce sont des accordéons diatoniques mais
ils liment les lamelles en fonction des gammes qu'ils utilisent,
ils les réaccordent quoi.
PH : Sur un autre sujet, quels sont tes projets en cours
avec les formations actuelles ou des nouvelles formations ?
VB : Avec Tao et Karim Touré, le percussionniste
du groupe on a dans l'idée de faire un nouvel album.
Sinon j'ai aussi en projet de travailler avec un jeune bluesman
de Memphis qui s'appelle ? Et puis je veux aussi bosser un peu
pour moi, creuser quelques idées.
PH : Je sais que tu connais bien certains harmonicistes
aux US, je sais aussi que tu as produit le dernier album de
Matthew Skoller il y a quelques mois
Est-ce que tu n'as
pas le sentiment que la scène blues, aux US (ou ailleurs)
se répète beaucoup, qu'elle n'est pas très
fertile ?
VB : C'est effectivement un problème général
du blues. Le blues est devenu un "style musical" alors
qu'avant c'etait une musique communautaire et populaire. Maintenant
c'est toujours une musique populaire, mais c'est devenu un style.
Les musiciens se sentent donc obligés de faire des exercices
de style. Il y a encore beaucoup de talents, des gens qui font
des choses intéressantes d'un point de vue instrumental,
mais il y a un vrai problème de répertoire. Il
faut apporter un nouveau répertoire. On peut rester dans
le 12 mesures ou en sortir, le problème n'est pas la.
Mais il faut apporter de nouvelles chansons. Si le blues est
devenu connu c'est parce qu'il y a eu des chansons et c'est
ce qui manque un peu. Souvent, les musiciens ont tendance à
faire des morceaux qui ne sont que des prétextes pour
les solos. C'est un peu dommage. Les solos devraient être
là pour mettre en valeur un morceau, pas le contraire...
PH : Je suis d'accord. Un des aspects qui m'attriste
dans le blues récent c'est que les mecs n'écrivent
plus de textes. Il n'y a pas grand chose qui parle de vécu,
qui dise quoi que ce soit.
VB : Tu es méchant, il y en a quand même
qui le font ! Le truc, c'est que depuis la fin des années
70, depuis que le blues a été écouté
par le publique de rock, il y a eu une espèce de compromission
: les bluesmen se sont mis à jouer aux rock stars parce
que le public le demandait. Or ce n'est pas l'essence de cette
musique. C'est un peu contre nature
PH : Est-ce que vous voyagez beaucoup avec Tao et Lobi
?
VB : Ces deux dernières années, on a pas mal
voyagé. On est allé en Afrique, avant on était
au Canada, aux Antilles, à la Réunion... En ce
moment on n'a pas de plan particulier à l'étranger,
mais ça peut venir.
PH : On sent qu'il y a une sorte revival de tout ce
qui est "ethnique", avec du bon et du mauvais. Tu
penses que vous entrez dans cette mouvance, où est-ce
que c'est un truc que vous trouvez malsain, une exploitation
commerciale de musiques traditionnelles ?
VB : Il y a un peu des deux. Déjà, le
mot " world" ne veut pas dire grand chose. Comme s'il
y avait de la musique qui n'est pas world ?! Ça a un
côté un peu bizarre. C'est vrai qu'il y a un aspect
village global, une tendance à tout mélanger qui
est un peu malsaine. En même temps, ça fait aussi
connaître plein de musiques et d'artistes qu'on aurait
jamais eu l'occasion de connaître
Au bout du compte,
la musique c'est devenu un business, c'est aux gens après
de rechercher ce qu'ils ont envie d'écouter et qui leur
plait. C'est vrai qu'il y a un côté positif et
un côté pervers. En tous cas, "world music"
ça ne veut rien dire, c'est une appellation très
marketing
PH : Quand vous voyagez, quand vous faites des tournées
un peu partout, ça vous arrive de rencontrer des musiciens
du cru, de jouer avec eux ou simplement de les écouter
jouer ?
VB : Bien sûr, c'est même l'intérêt
essentiel du truc. Quand on a fait une longue tournée
en Afrique, dans chaque pays on a rencontré des musiciens
locaux ; au Kenya on a effectivement joué avec eux. Dans
d'autres pays on les a juste écoutés et puis après
on a pu discuter. Ca dépend beaucoup du temps qu'on a
et des opportunités. Mais ça fait partie des objectifs
pour nous en tous cas.
PH : Ca vous donne des idées, ça vous
inspire ? Est-ce qu'il vous arrive d'intégrer des éléments,
des approches, des styles ?
VB : Absolument. Parfois des musiciens offrent à
Tao des instruments, ça lui donne des idées. Pour
ma part, après une tournée j'étais reparti
en Erythrée pour pour travailler avec un groupe de là-bas.
Ca ouvre les horizons, et et puis c'est le but du jeu, où
qu'on soit, d'écouter les gens, qu'on joue avec eux ou
pas. En tout cas de les rencontrer.
PH : Vous avez des projets d'aller en Asie ou en Amérique
du Sud, ce genre de pays ?
VB J'aimerais beaucoup aller en Asie, mais je ne connais
pas du tout. En fait c'est souvent l'occasion qui fait le larron.
C'est dur de provoquer ce genre de tournée, et de les
budgéter. On a eu de la chance d'aller déjà
là où on est allé
Christophe : Et par rapport aux Harmonicales de Condat,
quel est ton avis sur ce festival 100 % harmo ?
VB : Moi, je trouve ça bien. Ça peut être
bien ou ça peut être chiant selon la manière
dont c'est organisé. Je connais Laurent depuis longtemps,
et je sais qu'il l'organise dans un bon esprit. Ca donne une
vision musicale des choses. Si c'est pour faire un concours
d'harmo avec remise des prix moi ça me gonfle un peu.
Par contre quand c'est harmo avec différents groupes
et différentes musiques, l'harmo devient un véhicule
pour découvrir de nouveaux musiciens qui ne sont pas
forcement harmonicistes. Là, je trouve ça bien.
C'est plus l'esprit dans lequel ce festival est organisé.
Ca n'a pas d'intérêt si c'est simplement de la
démonstration d'harmonica. Il faut que ça permette
de découvrir des groupes. Ca a un côté intéressant
de montrer ce qu'est l'harmonica. C'est un instrument qui peut
être accessible à plein de gens. C'est bien quand
des festivals font sortir l'instrument de son image un peu.
PH : Pour finir, ce nouvel album avec Tao et Karim,
on peut l'espérer pour quand ?
VB : Je pense qu'on va essayer de l'enregistrer dans
la première moitié de 2001 et qu'il sortira vers
Septembre. Il y a plein d'impératifs qui font qu'un album
sort ou ne sort pas
PH : Pour l'instant, j'imagine que les deux premiers
ont du bien marcher puisqu'ils ne plus disponibles ?
VB : Oui ça se vend, mais c'est de la petite
distribution... Si déjà on s'y retrouve financièrement,
c'est bien. Mais de là à dire que ça marche,
il y a un pas
Mais bon, ça fait exister le groupe,
les gens ont la possibilité de l'écouter, on en
vend en concert, on en vend un peu en magasin. Au moins ça
nous maintient en vie. Et puis c'est toujours super intéressant
de s'enregistrer, parce qu'on apprend énormément.
Même si en fin de scéance d'enregistrement c'est
dûr de ne pas être critique vis à vis de
ce qu'on a fait.
PH : C'est un moyen de regarder ce qu'on fait avec un
il extérieur ?
VB : Oui. Parfois, lorsqu'on réécoute
des albums faits il y a longtemps, avec le recul, on se dit
"tiens ça s'était bien quand même"
! Il y a une perspective différente.
PH : De toute façon, juste après c'est
toujours le moment le plus difficile parce qu'on regrette plein
de trucs.
Bon alors on se revoit au plus tard quand l'album sort.
VB : Voila, merci !
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