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Jean-Jacques Milteau
Le dernier album de Jean-Jacques Milteau sorti
récemment dans les bacs est l'objet d'une démarche singulière
et un peu inhabituelle de la part d'un artiste français : notre
harmoniciste national est parti à Memphis enregistrer cet album
avec des musiciens de studio du cru, et pas n'importe lesquels
puisqu'il s'agit des piliers du "Royal Studio" de Memphis qui
ont contribué à nombre d'albums de soul et de rhythm and blues
depuis les années 60. C'est de cette expérience musicale qu'est
tiré le titre du l'album "Memphis".
JJM est parti à Memphis à la recherche d'un son.
Pas le son rauque et blues des premiers enregistrements du Wolf,
mais plutôt le son "soul" de Booket T, de Issac Hayes et des
célèbres Memphis Horns. Et le plus intéressant dans ce nouvel
album, c'est certainement ça : une unité de son et d'atmosphère
qui a pu manquer à certains des albums précédents de Jean-Jacques,
qui jonglaient entre des styles très différents.
Bien sûr, la contribution de trois pointures du
chant blues/soul tels que Little Milton, Mighty Mo Rodgers et
Mighty Sam McClain n'est pas non plus pour rien dans le succès
de l'entreprise. Chacun d'entre eux est arrivé avec dans son
escarcelle une de leur propres compositions et une reprise.
De manière assez intéressante, les compositions s'avèrent plus
blues que les reprises qui sonnent très soul. Les trois chanteurs
(et guitariste dans le cas de Little Milton) sont en grande
forme vocale et, tout en ayant des manières différentes de chanter,
ont vraiment les "voix qu'il faut" pour coller avec le contexte
musical du "Royal Studio".
Et l'harmonica, dans tout ça ? Et bien disons que
si certains ont pu reprocher de par le passé à JJM d'être un
harmoniciste pour harmonicistes, ils devraient être surpris
par ce dernier opus : tout en restant l'instrument soliste essentiel
de l'album, puisque présent sur tous les morceaux, l'harmo de
JJ n'est ni démonstratif ni technique : il s'intègre dans l'ensemble,
et en particulier au sein des arrangements de cuivres, avec
facilité. L'évolution sensible du jeu de Jean-Jacques depuis
quelques années se fait clairement sentir dans cet album, qui
est l'aboutissement d'une recherche du son : des phrasés simples,
des improvisations mélodiques et un son dont la texture est
de plus en plus riche. Si je n'avais peur d'être accusé de blasphème,
je dirais que JJM se Miles-Davis-ise...
Certains morceaux, bien sûr, ressortent plus que
d'autres : les compositions de Little Milton ("Things are gonna
change") et de Sam McClain ("At last, on time") en particulier
devraient satisfaire les amateurs de blues, tandis que des instrumentaux
très funky comme "TMCP" ou soul somme le superbe "Master Lester"
devraient ravir les amateurs de soul.
Au final, cet album s'adresse certainement plus
aux amateurs de musique en général qu'aux amateurs de prouesses
instrumentales et d'harmonica virtuose en particulier. Comme
me le disait récemment un collaborateur de Planet Harmonica,
"on peut le prêter à un ami sans avoir à lui dire que c'est
de l'harmo !" C'est très juste, et c'est à ce titre qu'à mon
sens il s'agit du meilleur de JJM depuis un bon moment.
Ben Felten
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