Paul deLay - Heavy Rotation
Paul
DeLay est un des harmonicistes les plus originaux en dehors
de la scène jazz aujourd'hui, à la fois au diatonique
et au chromatique. Ses spécificités ne sont pas
à proprement parler techniques mais plutôt dans
les phrasés et l'usage du son. Il a commencé à
sortir des albums très personnels au début des
années 90 après deux années passées
en prison à la suite de problèmes de drogue, deux
années qui ont changé sa vie. "Heavy Rotation"
est le cinquième album sorti sur le label Evidence depuis
sa sortie de prison, et le quatrième avec le Paul DeLay
band.
Commençons par les mauvaises nouvelles
: cette couverture de CD est vraiment IMMONDE !OK. Voila pour
les mauvaises nouvelles.
Le son et le style de Paul DeLay restent quoiqu'on
en dise liés à ceux de son groupe. Son album précédent
était aussi sa première infidélité
à son groupe. Il présentait Paul DeLay accompagné
par un groupe de Chicago Blues avec un titre approprié
: "DeLay does Chicago". Bien que ne manquant pas de
mérites, l'album n'atteignait pas vraiment ses objectifs
: pas assez Chicago pour être un album de blues classique
efficace, et pas assez DeLay pour être un album de Paul
DeLay efficace. Sur "Heavy Rotation", Paul est de
retour avec les musiciens qui l'ont accompagné depuis
le début des années 90, et ils sonnent vraiment
bien ensemble...
Le groupe est constitué de Louis Pain à
l'orgue hammond et au pédalier de basses, Peter Damman
à la guitare, Dan Fincher au saxo ténor et Kelly
Dunn à la batterie, le seul "petit nouveau"
du groupe. Cette composition du groupe produit un son clairement
R&B, en particulier avec la combinaison hammond-saxo. Ce
sentiment est renforcé par la voix de Paul DeLay's au
registre médian étonnant pour quelqu'un de sa
corpulence.
Ce qui constitue le son Paul DeLay, c'est aussi
l'écriture. Bien que le blues ne soit jamais très
loin, vous n'entendrez ni "woke up this morning" ni
"highway 49" sur ce disque. Les paroles de Paul, même
lorsqu'elles abordent des sujets "classiques" pour
du blues sont toujours très personnelles et combinent
une poésie un peu naïve et un humour cynique. A
titre d'exemple, on peut citer les images mélancoliques
de la ballade "Love Grown Cold" : It's a diamond ring
/ With a little tiny stone / Sitting in a pawn shop window /
Sitting there all alone... Dans un registre plus cynique, les
paroles de "It isn't easy being big" sont aussi assez
percutantes : You gotta eat the wrong foods at the wrong times
/ And you can't just go movin' around / You got to sit right
in your easy chair / Or you might lose on or two pounds...
Et puis, il y a le jeu d'harmo de Paul. Il fait
partie de ces rares joueurs qui n'usent pratiquement jamais
de ces quelques riffs "classiques" qu'on a tous entendu
dix-mille fois. Sur l'introduction de "Wealthy Man",
on peut presque entendre d'où vient l'admiration que
Paul DeLay dit professer pour Sonny Boy 2, mais c'est fugace
! Cela contribue à donner à DeLay un style clair
et reconnaissable qui n'appartient qu'à lui. Ses phrasés
son très inventifs, et c'est d'autant plus évident
lorsqu'il joue du chromatique. Il parvient à jouer dans
un style blues très jazzy, original et néanmoins
accessible.
Ce disque a tous les atouts d'un bon disque de
Paul DeLay. Le choix délibéré de ne pas
surfaire la production confère une fraîcheur vraiment
agréable au son du groupe. La guitare de Peter Damman
est plus mordante que jamais, Louis et Dan contribuent discrètement
à l'ensemble sans étouffer l'affaire. Je n'hésite
pas à dire que c'est le meilleur album de Paul DeLay
depuis "Ocean of Tears" ce qui, considérant
que les albums entre les deux étaient loin d'être
mauvais, n'est pas peu dire !
Benoît Felten |