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JJ Milteau - Blue 3rd
" Blue 3rd " est le plus récent
opus de l'harmoniciste Français JJ. Milteau. Il procède
d'une démarche similaire à celle de l'excellent
" Memphis " sorti en 2000 : enregistré aux
Etats-Unis avec un mélange de musiciens locaux et de
membres de l'équipe de talent dont Milteau s'entoure
en France. L'album comporte 13 morceaux dont 8 instrumentaux
et comme sur Memphis, non seulement le backing band est partiellement
" natif ", mais quatre invités viennent émailler
le disque de leurs voix et/ou de leurs instruments.
Cette fois ci, ce n'est pas à Memphis mais
à New York que Milteau a décidé de poser
sa valise d'harmonicas, à la recherche non pas, semble-t'il,
d'un " New York " sound, mais plutôt d'un grain
particulier qu'on retrouve chez certains chanteurs noirs. Les
trois invités vocaux sont à ce titre symptomatiques
puisqu'il s'agit du songster bluesy Terry Callier, à
la voix chaude et profonde, de N'dambi, étoile montante
de la Nu Soul et de Gil Scott-Héron, pape et papy du
hip-hop, poète et chanteur qui sévit à
travers des textes puissants depuis les 70s. Le dernier invité,
Howard Johson, ne chante pas, mais ajoute néanmoins un
timbre particulier qui s'insère bien dans la cohérence
de l'ensemble, puisqu'il joue de divers cuivres 'grondants',
du trombone au sax baryton en passant par le tuba.
Et JJ Milteau dans tout ça, me direz-vous
? A l'exception des cinq instrumentaux 'sans invités',
sur lesquels il joue les thèmes et des improvisations
longues, il reste fidèle à la tendance amorcée
dans ses derniers albums, accompagnant ses invités avec
brio mais sautant rarement sur le devant de la scène.
Certains trouveront cela regrettable, mais le goût et
la finesse des interventions sont telles que ceux qui aiment
la musique avant la virtuosité n'y trouveront rien à
redire. Le plus intéressant au demeurant, est que Milteau
a lui aussi 'un grain', si vous me pardonnez le mauvais jeu
de mot, c'est à dire un son particulier, très
travaillé, et une approche de jeu visant à mettre
en valeur ce son.
Ainsi, il est très intéressant pour
un harmoniciste, au delà de l'écoute agréable
du disque, d'analyser les choix de tonalités et de positions
que fait Milteau, chacune des interventions semblant ainsi taillée
sur mesure pour faire briller au mieux le morceau. Deux exemples
: sur 'Some Kind of Pressure', l'harmo grave de JJ répond
et complète parfaitement la voix chaude de Terry Callier.
Sur l'instrumental 'Turtle Walk', au contraire, un harmo plus
aigu fait le contrepoint du baryton de Howard Johnson. Bref,
JJ poursuit dans son approche d'une identité sonore pour
l'harmonica diatonique, et c'est tant mieux.
Au final, néanmoins, la sauce prend moins
bien que sur Memphis. Blue 3rd souffre peut-être d'une
attention excessive au son et à la production justement,
qui étouffe une certaine spontanéité qui
transparaissait tant sur Memphis. Du coup, seuls les morceaux
à 'forte personnalité' ressortent et brillent.
A l'écoute, on a le sentiment que deux demi-albums se
côtoient sans vraiment se rejoindre.
Le premier comporte les collaborations avec Callier,
Scott-Heron et Johnson, naviguant entre jazz et soul, comme
sur la reprise magistrale du 'Home is where the Hatred is' de
Scott Heron, flirtant avec le blues comme sur le 'Some Kind
of Pressure' de Callier ou plus encore sur le superbe 'Fishin'
Blues' avec Johnson, merveilleux de joie et de spontanéité.
Ces morceaux ont effectivement le 'grain' particulier que semblait
rechercher Milteau sur ce disque, doublé d'une identité
forte qui, si elle ne séduira pas nécessairement
les puristes de blues satisfera certainement ceux qui apprécient
la bonne musique interprétée avec cur.
Le second demi-album comporte les instrumentaux
de Milteau 'sans invités' et les collaborations avec
la chanteuse N'dambi. Ces morceaux, bien que superbement interprétés,
me semblent manquer grandement de personnalité, et le
son par trop léché leur donne un poli qui les
rend très 'neutres', en tous cas à mes oreilles.
J'hésite à qualifier ces morceaux d'Easy Listening
en raison de la connotation très négative du terme,
mais c'est un peu le sentiment que j'ai à l'écoute
: des morceaux classiques, polis, et léchés qui
semblent conçus pour plaire au plus grand nombre
Il est regrettable d'ailleurs que JJ n'ai pas
voulu (ou ne soit pas parvenu) à emmener dans cette aventure
une chanteuse avec une voix un peu plus accrocheuse. La voix
de N'dambi est certes très jolie mais pas fondamentalement
différente de celle des nombreuses chanteuses Nu Soul
qui hantent les charts des deux côtés de l'Atlantique.
Pour tempérer cette appréciation, il est important
que je précise que c'est tout ce genre musical que je
n'aime pas, donc ceux qui sont fans apprécieront sûrement
plus que moi !
Bref, au final, " Blue 3rd " reste un
album globalement bon, avec des perles qui valent vraiment le
coup d'être entendues mais, à mon goût en
tous cas, un peu plus de déchet que d'habitude dans les
productions de JJ. Comme d'habitude, ce ne sont pas les amateurs
d'acrobatie harmonicale ni non plus les fans de blues pur et
dur qui trouveront leur compte, mais plutôt ceux qui restent
ouverts musicalement et aiment les ambiances jazzy, les musiciens
de talent, les improvisations de goût et les chanteurs
à personnalité.
Benoît Felten |